(attention : article qui va vous foutre le moral à zéro)

S.T.A.L.K.E.R. doit être le jeu le plus déprimant au monde. Avant lui, il y avait le final de certains titres 8-bits, qui récompensaient vos sacrifices digitaux par un "THANKS FOR PLAYING - GAME OVER" fort castrateur, ou les mauvaises conclusions de vos jeux hentai favoris, genre "oh, Taro-chan ! Je suis en fait un ange-cyborg cancéreux cloné à partir de ta mère et d'un elfe orienté chaotique-neutre, mais je viens d'une autre planète dans une dimension parallèle après avoir voyagé dans le temps pour faire cette promesse quand tu avais trois ans et que tu étais mon frère, mais je vais te tuer car nous devons mourir pour sauver le monde ! THANKS FOR PLAYING - GAME OVER." Dans STALKER, il y a sept fins (!), cinq étant "fausses" et une seule étant "heureuse". Notez les guillemets. Et se taper dix à quinze heures pour être récompensé par une vidéo d'une minute dont l'effet est similaire à un coup de pied dans les noisettes, ça fout le cafard.

Vous vous souvenez du magazine Gaming ? Conçu par l'équipe de Joypad qui avait quitté le navire, mort six mois plus tard. Le dernier numéro - avril 2004 - avait STALKER (ouais, taper les points entre chaque lettre, c'est relou) en couverture et une grosse preview dans les premières pages. STALKER se rattache dans l'inconscient collectif au numéro final du meilleur mag de jeux vidéo de ces dix dernières années.

Le "débat" sur les jeux vidéo en tant qu'art est un sujet mort-né. Chaque site web ou magazine tout frais éclos se doit d'en faire un article, à l'instar des femmes dans les jeux vidéo ou de la violence dans les jeux vidéo. C'est un marronnier comme un autre. La réponse actuellement à la mode, c'est que les jeux vidéo sont un passe-temps, donc un divertissement - entertainment en anglais. Ils sont conçus en tant que tels et peuvent difficilement être considérés autrement. Un jeu vidéo, aussi "artistique" soit-il, sera considéré comme mauvais s'il n'est pas "divertissant". C'est le principal critère de jugement pour un tel produit, ce qui n'est pas vraiment le cas avec une "oeuvre". ICO ou Zelda sont tenus en haute estime parce qu'en plus d'être élaborés avec goût, on ne se fait pas chier en y jouant. L'art se fout de vous faire plaisir ou de vous brosser dans le sens du poil ; il peut être violent ou polémique, l'art. Killer7 est l'exemple-type du poil à gratter vidéoludique, qui intrigue le joueur en lui cherchant des noises avec des choix de gameplay conçus pour le faire chier. Alors on s'extasie, on s'interroge, mais on ne s'amuse pas forcément. Merde, alors Killer7, c'est de l'art ?
Mais ça reste une exception. Fondamentalement, le jeu vidéo est léger, et est pensé par des éditeurs qui veulent qu'il le reste. Quand un TakeTwo appelle aux joueurs face aux méchants sénateurs américains, c'est pour vendre du GTA, pas pour légitimer le jeu vidéo en produit mûr auprès des masses. Les éditeurs se servent des gamers comme d'un lobby pour mieux vendre leur came. Ils se foutent d'en faire un art. Enfermé dans cette mentalité, le jeu vidéo ne sera jamais considéré autrement. Tout ça pour dire que dès les premiers échos sur STALKER (à l'époque de Gaming, la preview d'avril 2004, vous me suivez ?), en voyant un produit de divertissement exploiter l'accident de Tchernobyl, j'ai eu froid dans le dos.

A l'origine, STALKER devait se dérouler dans un monde fictif, (j'y reviendrai dans un instant), et la décision de se baser sur un tel lieu fut prise après le lancement du projet. Cette aversion est parfaitement personnelle - j'ai déjà du mal avec les jeux basés sur le Vietnam, surtout quand ils ne sont pas très bons. Trop récent, trop susceptible de surfer sur une exploitation de polémique, vous voyez le genre. Alors, par souci de documentation, on se renseigne sur le véritable Tchernobyl, et on en ressort avec le moral encore plus dans les chaussettes. Ne regardez pas ça ou ça si vous passez une bonne journée, vraiment. Vous risqueriez d'apprendre - ou de vous rappeler - que près d'un million de personnes se sont sacrifiées pour sauver le continent européen, et que de toute façon, le gouvernement français a mis un mouchoir sur ce bordel.

Puis, on apprend que le jeu est basé sur un film de 1979, réalisé par Andrei Tarkovsky, un type qui a eu un prix spécial du jury à Cannes et qui était copain comme cochon avec Akira Kurosawa. Absolument introuvable de nos jours, on se tourne vers le peer2peer pour mater la chose, qui dure plus de deux heures trente. Et on se chie dessus, tant le futur est écrit dans cette pellicule. Ca parle d'un gars qui fait visiter une zone interdite, lourdement gardée par les militaires et apparemment calme, où des aberrations de la nature et des dangers invisibles sont omniprésents. La promenade est réservée aux désespérés, et le personnage principal, le fameux stalker, connait bien les risques encourus : sa propre fille est née avec des malformations dûes à la fameuse zone... Des passages sont repris dans le jeu vidéo, c'est normal. Pour pimenter le tout, le film a été réalisé à côté d'une usine qui déversait toutes sortes de saloperies dans l'atmosphère : on aperçoit des flocons dans l'air et une mousse dans les rivières qui n'ont rien de naturel, et rien d'un effet spécial assuré par la production. En fait, on n'arrive jamais à savoir ce qui était d'origine sur le terrain, et ce qui a été ajouté par les accessoiristes. Le dernier plan montre un panorama de la fameuse usine, avec ses grosses cheminées à la lourde fumée blanche. Partout, de terrifiantes prédictions. Bonus : la quasi-totalité de l'équipe, dont le réalisateur, est morte de cancers ou de complications suite à ce tournage. Si vous avez la fibre cinématographique et que vous rêvez de réaliser un film culte, demandez-vous si votre santé passe avant l'art : à quel niveau de votre hiérarchie personnelle classez-vous la qualité de votre système nerveux ?

En soi, le film se sert de cet endroit maudit comme d'un pélerinage éveillant les consciences : quand on n'a plus rien à perdre, à quoi se rattacher ? Où est l'espoir, où est votre place dans le genre humain, où est Dieu ? Si votre réflexe de geek en phrase finale vous a poussé à répondre "DTC" comme à chaque fois que vous entendez une question commençant par "où", sachez que vous n'avez quand même pas complètement tort. Puis on apprend que le film qui a inspiré le jeu vidéo est lui-même basé sur une nouvelle de 80 pages des frères Strugatsky, que je suis en train de lire sur ma psp (vous auriez dû voir la gueule des deux ados qui m'ont aperçu en train d'utiliser une psp pour lire un livre). Texte qui date du début des années 70, et qui est également une boule de cristal sur la catastrophe de 1986 - Nostradamus peut aller se coucher. Une substance qui tue à petit feu, des voleurs attirés par l'inconnu, et quelques petits hommes verts de passage qui ont laissé leurs ordures derrière eux. Car c'est ça, la zone : des extra-terrestres ayant abandonné des objets avant de repartir, comme vous laisseriez derrière vous, après un généreux pique-nique, un sac plastique ou un jouet cassé, qui ne manqueraient pas d'attirer l'attention de quelques animaux bien moins savants que vous. Face à ces artefacts, l'homme est tel une fourmi devant une montre rouillée. Jeu vidéo, film, roman, réalité : quel que soit le support, il y a de quoi se jeter sous un train. Hop, encore un paragraphe qui se termine sur une phrase déprimante, la boucle est bouclée.