Rien à faire. Jusqu'au générique de fin de sa mission "cachée", Killer7 m'a laissé flotter dans une indécision impuissante sur son cas. Bon ou mauvais ? Oeuvre à vocation artistique ou vaste foutage de gueule ? J'avais écrit un billet en milieu de jeu pour tenter de faire le point - sans succès. Le lectorat adoré (c'est vous) m'a incité à ne pas lâcher l'affaire. Car une seule chose était sûre à ce moment, et l'est toujours : Killer7 ne veut pas qu'on l'aime. Il frustre le joueur et lui fout des coups de batte de base-ball dans les rotules pendant qu'il est devant la console. Si le joueur croit prendre son pied à un moment, c'est pour réaliser dix minutes plus tard que ce n'était qu'une ruse furtive, que le jeu est toujours aussi méchant et qu'il a d'ailleurs profité de ce léger relâchement de vigilance pour introduire un silex bien tranchant dans le rectum du suscité joueur. A part ça, je ne suis sûr de rien, pas même de mon avis sur ce jeu. Allez raton, garde la tête froide et fais une liste de ce qui t'a plu ou déplu.



En tout cas, je suis allé jusqu'au bout, sans me forcer. C'est quand même de plus en plus rare que me que je me tape un jeu jusqu'à sa conclusion, tant ma tolérance au foutage de gueule est basse. Un boss avec une méthode d'élimination alambiquée, un RPG avec une trop forte tendance au grinding, une histoire qui perd le joueur dans les détails inutiles, ça suffit largement l'expédition du disque en aller simple vers l'Etagère de l'Oubli. Je ne pense pas que c'est ça qui a dû pousser pas mal de monde à laisser tomber Killer7 ; j'ai plutôt l'impression qu'ils ont lâché l'affaire parce qu'ils ont eu l'impression qu'on les prenait pour des buses.
Quelle que soit la personne qui tient la manette, une partie de son crâne a bien conscience qu'on se fout d'elle. Personnellement, c'était un soupçon, une petite idée au fond de l'esprit, qui ne m'a pas quitté mais qui n'a jamais pris le dessus sur l'envie de jouer. On y sentait une sorte de mépris pour le joueur, comme si les développeurs tentaient de lui faire réaliser la stupidité crasse de ses efforts : tenter de se battre et de survivre dans un monde qui n'existe pas. Ne riez pas, c'est déjà arrivé. Les deux exemples les plus connus restent cependant anecdotiques : primo, le Défi de Takeshi Kitano sur Famicom, un jeu impossible à terminer (taper 20 000 fois sur un boss pour le battre, yay), et secundo, Penn and Teller's Smoke and Mirrors sur MegaCD, qui contient des challenges du genre "conduire un bus sur une route déserte pendant 8 heures non-stop" (pour gagner un seul point au score, re-yay). Même si ce n'est pas dans les mêmes proportions, Killer7 s'offre régulièrement le luxe de ridiculiser le joueur : que ce soit avec un boss qu'on ne peut éliminer qu'avec une précision de tir JFK-esque et une méthode tordue, ou au contraire avec un boss qui meurt après une seule balle, ou avec son histoire positivement incompréhensible, ou ses choix de design (graphique et gameplay) qui vont à rebrousse-poil de ce qu'on connait. Et pourvu qu'on ignore le manuel d'utilisation (n'y touchez pas, il est bourré de spoilers), la première mission a une courbe d'apprentissage aussi raide que la face Nord du Mont Blanc. Certains passages sont donc de véritables corvées. Parfois, il est plus rapide de lever son gros derrière du canapé pour faire un Reset et charger sa sauvegarde que se taper la résurrection d'un personnage mort loin d'un checkpoint. Et surtout, ce n'est pas un jeu très amusant : en tant que "jeu vidéo", j'ai connu largement plus gratifiant et divertissant. Retour sur ce dernier point dans un moment.



Voilà pour la liste négative. En restant méthodique et en la comparant à la liste des points positifs, je vais peut-être pouvoir me faire un avis sur ce jeu.



(raton-laveur has left #editotaku : http://www.raton-laveur.net - Oh Samantha, tu serais toujours vivante si je n'avais pas fait ce site web!)

Killer7 a quand même la classe. Tellement la classe, qu'un de ses personnages déjantés, mi-pute mi-soumise, a hanté les sessions IRC pendant que je cherchais ce jeu. Parenthèse : quand je chasse un jeu pas facile à dénicher, je me fais quelques pense-bêtes pour ne pas oublier mon objectif. Quand j'étais à la recherche de ThunderForce IV ou de quelque obscur titre Saturn, quelques références traînaient toujours sur le bureau, l'agenda, les messages postés sur le Net. La version Cube européenne de Killer7 a eu un tirage assez faible - moins de 6 000 exemplaires, ai-je entendu d'une source aucunement fiable. Fin de parenthèse. Killer7 a tellement la classe que Jack Thompson (Ace Attorney) écrit à Scott Ramsoomair à son sujet. Résultat : l'auteur de VGCats, initialement repoussé par le jeu, lui a laissé une seconde chance et l'a suffisamment apprécié pour en faire un wallpaper. Killer7 a une tête de gamine qui vous parle avec des smileys dans le texte, des séquences animées (regardables sur le site officiel - certaines made by Xebec) et une scène de cul assez explicite.
Je n'ai franchement pas envie de ressortir le débat "le jeu vidéo est-il un art ?", parce qu'il semble impossible d'avoir une discussion à ce sujet sans devenir extrêmement prétentieux. J'avais écrit quelque chose à l'époque où ce site était mis à jour par 56k, toujours trouvable dans la section des articles - mais j'apprécierais beaucoup que vous vous absteniez de le lire, ça doit avoir au moins cinq ans d'âge. Restons-en au compromis que les jeux vidéo sont une (sous-)culture et non une forme d'art, encore trop jeunes et largement poussés par des impératifs commerciaux. Les éditeurs de jeux cherchent surtout à vendre, pas à faire passer un message - et si les développeurs veulent véhiculer quelque valeur au sein de leur programme, que ça n'empiète pas sur l'objectif mercantile. Brûlons EA Games, principal vecteur de cette tendance... et bénissons Capcom, qui s'est justement permis de l'inverser avec les Capcom Five, ces cinq jeux (dont un annulé), censés prouver que l'éditeur-développeur peut faire du jeu artistique quand il n'est pas occupé à rééditer Street Fighter ou Mega Man. Killer7 fait partie de ce quintette. Financer des projets risqués avec des blockbusters : le principe même du mécénat. Capcom l'applique, et on obtient Phoenix Wright, Steel Battalion ou Viewtiful Joe. Rien que pour cette ambition, il y a de quoi devenir fanboy. L'intérêt pour Capcom est quand même évident : soigner son image de marque, comme le fait sony en finançant ICO et Shadow of the Colossus. Capcom n'a pas les mêmes moyens, mais il va vraiment au bout de son ambition ; la preuve, non seulement Killer7 termine son cycle de développement sans être annulé par le service marketing, est mis en vente, mais en plus, il est traduit et exporté jusqu'en Europe. Quand on a le résultat final entre les pattes, on se dit quand même que Capcom a des couilles - terme ici employé dans son sens le plus villepiniste.

Killer7 a des couilles. Le premier niveau doit servir à filtrer les joueurs, tant il observe peu de considération pour eux : on commence à jouer, on dézingue deux ennemis et en moins de cinq minutes, on se retrouve nez à nez avec une sorte de monstre occupant tout le parking qui clone des assaillants. La première fois, il faut bien compter une heure pour terminer cette mission. Ensuite, le jeu lance ses messages : ça parle de la guerre et de la paix, du conflit entre l'Orient et l'Occident, de la propagande par les médias de masse, du terrorisme ou de la facilité à contrôler une nation. Ca parle de pions jetables dans un conflit sans fin disputé entre dieux. Ca parle d'un mec seul, perdu dans son passé.
Un jeu vidéo a t-il déjà abordé pareils sujets ? Les Metal Gear, bien sûr. Eux aussi savent se foutre du joueur et lui rappeler qu'il joue à un jeu vidéo, que ce soit en lui collant un "FISSION MAILED" à l'écran ou en lui faisant débrancher sa manette. L'unité Cobra ou les Fils de la Liberté ont beaucoup en commun avec les Killer7 : ils sont complètement fous, ont chacun une spécialité (sniper, demolition man, etc), agissent chacun dans leur coin, et semblent tirés d'un comic-book suranné. Avec leurs scénarios lourds en messages, les deux jeux ont une forte tendance à frustrer le gamer pur et dur, celui qui vient pour avoir son fix d'adrénaline, le genre à faire le reproche écrit plus haut : "en tant que 'jeu vidéo', j'ai connu largement plus gratifiant et divertissant".
Mais on l'a déjà dit : de son origine (projet Capcom Five) au résultat final (qui ne veut pas qu'on l'aime), on sait bien que l'objectif principal de Killer7 n'est pas d'amuser le joueur. Mais alors, c'est quoi ? Au lieu de me divertir, qu'ai-je fait devant ce jeu ? Je me suis énervé (même si elle n'est pas si difficile que ça, la mission "Alter Ego" m'en a fait baver), creusé la cervelle et privé de quelques heures de sommeil. J'ai jubilé devant le génial coup de théâtre final, nerveusement sursauté à chaque fois que je changeais de personnalité, pesté contre les temps de chargement plus longs que la moyenne GameCube (ladite moyenne étant "pas de chargement" - mais il paraît que c'est bien plus désagréable sur ps2). Le camarade Pipo, ancien fanatique de ce jeu - avant de changer de religion pour vénérer les Katamaris - a bien raison quand il dit que Killer7 pousse le joueur à y mettre ses tripes.

A en juger par le contenu du titre, je crois bien que c'est son véritable but : secouer le pauvre hère qui tient la manette - au sens figuré, puisque j'utilise un WaveBird. Secouer ses préjugés en matière de graphisme, de gameplay, de narration. Et là, mission accomplie. Emouvoir, faire réfléchir, ébranler les idées reçues... ça correspond à la définition de l'art, non ? Alors, le but de Killer7 serait d'être une oeuvre d'art ? Mince alors. Jeu d'auteur, on a déjà vu, mais oeuvre d'art... C'est peut-être une première dans le domaine du jeu vidéo.



Alors, c'est pour ça que je suis infoutu de dire s'il s'agit d'un bon jeu ou pas ? Parce qu'il ne cherche tout simplement pas à être un bon jeu, mais autre chose, comme... une bonne oeuvre d'art ? Dans ce cas, oui, Killer7 y arrive. Je ne suis pas non plus complètement subjugué par sa performance, parce qu'elle est quand même un peu trop élitiste en cherchant absolument à noyer le joueur-admirateur dans une histoire trop confuse. Dixit Wikipedia, le projet original était trop cher et complexe - et comme il était déjà assez en retard, le produit final est une version allégée des ambitions de l'auteur, Suda 51. C'est sûrement la raison derrière le principal défaut de cette oeuvre. Le studio grasshopper manufacture a bien conscience de cette erreur et a pondu le livre Hand in Killer7, qui aide à dénouer le sac de noeuds. Reste qu'en l'état, chercher à tout comprendre est impossible - il suffit de savoir vivre sans cela (je sais pas moi, pensez à Twin Peaks). En tant que jeu vidéo, Killer7 est, pour rester poli, "moyen". En tant qu'oeuvre à vocation artistique, Killer7 est un coup d'essai magistral.