Cet enjeu du « sans filet » a été reproduit ça et là dans la ludothèque de cette décennie, on peut par exemple citer le fabuleux mode Hardcore de Diablo 2. Le joueur à une vie, une seule, il a beau avoir joué une semaine non-stop pour atteindre un niveau démentiel, une minute d'inattention et un ennemi qui explose à coté, c'est fini, le personnage est définitivement mort, enterré et bientôt suivi du joueur qui va vouloir devenir an hero. Autre exemple récurrent dans la ludothèque Gamecube : le « puit aux 100 étages » de Paper Mario (entre autres). Un combat, un étage, des checkpoints et une récompense tout les dix paliers... voilà un beau challenge, d'autant plus qu'à l'arrivée c'est un boss qui vous tue en deux tours, la première fois du moins. Ce genre de concept, outre l'adrénaline qu'il procure, est assez épatant car il permet une difficulté plus élevée (et en l'occurrence des monstres encore plus forts) que dans l'histoire principale. Les fervents de la saga Final Fantasy se reconnaîtront.

Maintenant on mixe ces deux idées. L'« objectif indéfini » et le « tunnel-sans-fond-sans-retour-de-pire-en-pire » et vous savez ce qu 'on obtient? Le manga Detective Conan? Preeeeesque! Non, plutôt moi. Vous. Et Internet. Le perso est l'internaute lambda qui va s'engager dans le puits aux cent étages qu'est la grande toile. Partir, puis découvrir la toile à tout d'une expédition...

Un peu d'histoire : en plein XIXè siècle, l'urbanisation soudaine agitait joyeusement l'imaginaire social - classe ouvrière, hygiène publique, bref les "maladies urbaines" sont le centre d'attention, la cause de cette peur sociale reste le simple regroupement de population, comme une agoraphobie à grande échelle (sous fond d'un "esprit révolutionnaire" inhérent, surtout en Allemagne, bref)

Internet, c'est la même chose, il y a tout les fantasmes qui vont avec. Nous sommes les joueurs du grand RPG de la toile, nous avons tous notre vécu, notre « bagage dans le domaine ». Il est assez simple de jauger le seuil d'ancienneté d'un Internaute lambda : il faut tester son seuil de tolérance et sa sensibilité.

Si je vous pose la question : « quel est le pire truc que vous ayez vu sur Internet? » plein de critères vont rentrer en jeu, l'honnêteté du bonhomme, la nature de sa réponse... ça peut être un anime hentai un peu limite, un manga du même acabit récupéré par curiosité sur un forum... et peut être que le dégout des uns fait les fantasmes des autres, n'oublions pas que plus ou moins tout est fappable par un internaute – sur la toile, tout trouve une dimension plus ou moins érotique. Cet état de fait se concrétise pas mal avec le fameux canal dont-on-ne-doit-pas-prononcer le nom(lien /b) de 4chan, tant et si bien qu'on peut parler d'un « humour internet », hilarant pour celui qui le décortique un minimum et effrayant pour le vieil internaute de Floche-en-Zloup qui ne comprendra pas un gif avec Pedobear. C'est là qu'intevient la fameuse Règle 36 de l'internet, qui prends deux acceptions selon les sites :

  • Si ça existe, c'est un fétiche pour quelqu'un

  • Il y a toujours plus barré que ce qui vient d'être vu. (Comprenez : tu as un truc ignoble sur ton écran? Pas de problème, il y a pire à coté.)

Ce dernier principe, élaboré dans un contexte satyrique et caustique, est tout ce qu'il y a de plus pertinent, tant et si bien qu'on pourrait schématiser tout ça. Les Animaniacs ont leur « Roue de la Moralité », j'appelle ma « Pyramide du Fap »!

Ceci est une représentation graphique et non exhaustive

Chacun pourrait se situer sur ce beau schéma Paint tout frais pondu - et déterminer quelle est la chose la plus dérengeante qui vous soit passée sous ses yeux. On démarre frais et dispo en bas, et on monte, sans retour, aux fils de nos prégrinations en "supportant" ce qui est en dessous. On peut même établir des pallier, parce qu'on aime le lulz ici à l'éditotaku

SAFE : Vous découvrez Internet, comme à peu près tout le monde au début de cette décennie. Vous êtes humains et vous comprenez rapidement que le porno est la plaque tournante de la toile. Vous connaissez les concepts d'imageboards, traînez sur fakku et regardez vos héros préférés se débaucher un peu. Si ça se trouve, vous matez aussi du yaoi, du yuri, voire les deux. Vous ne pouvez vous empêcher d'éprouver une certaine affection platonique envers les personnages aux yeux humides estampillés Kyoto Animation et vous éprouvez un faible pour les filles en maillot de bain. Votre romantisme n'est plus franchement une excuse quand vous jouez à des eroges games et que vous forcez les chemins un peu olé-olé. Rapidement, vous êtes assez blasés et...

NOT SAFE FOR MIND : … vous passez à des eroge games avec du personnel féminin, alien et férue de chair humaine. Taper « what » sous Gelbooru commence à vous faire rire. Vous arpentez de temps en temps les canaux de 4chan réservés aux majeurs. Vous savez ce qu'est un lolicon et vous découvrez même des variantes ! La Rule 34 ne vous fait pas peur, vous avez volontairement « ruiné votre enfance » et découvert vos héros de jeunesse en pleins ébats. Vous associez automatiquement le mot « viol » à « tentacule » et cachez un dossier porno encore mieux caché que votre dossier porno classique. Mais rapidement la blasitude se fait sentir et !

NOT SAFE FOR HUMANITY : Vous connaissez tous les fétiches célèbres ! Vous savez ce qu'est un furry, vous découvrez l'existence du vore (nom nom fap fap) du scat et du watersports qui font appel aux fluides corporels, la chair à l'état pur n'est pas si repoussante et la limite d'âge n'est plus un critère. Encore mieux : on peut mixer les fétiches à loisir en cherchant aux bons endroits. Gurochan est là pour combler vos attentes les plus exotiques – et la 3D fait enfin son apparition. Vous connaissez 2girls1cup et ses variantes à base de doigts, jarres ou chevaux. Goaste, Melonparty ou tubgirl sont vos amis, et vous êtes prêt pour les Pain Series, le boss final de l'Internet. Mais oh... qu'ouïs-je? Le son de l'internaute bientôt blasé. On continue!

: Même chose que précédemment avec de l'excitation spontanée. Bondage Game est sur votre Ipod (pour les voyages – essayez d'être discrets quand même), "Swap" vous évoque un film audacieux, vous postez de Child Porn un peu partout, le canal /death de Gurochan vous émoustille, vous avez même remis les Snuffs Movies et la "pendaison érotique" au goût du jour mais cela vous blaaaaaase.

PROFIT ! : ~ Informations non disponibles pour le moment. Ma posture de pucelle éplorée ne peut aller plus loin, mais il existe pire. Nous DEVONS y croire. Celui qui aurait vu encore plus peut se targuer d'être le plus expérimenté, d'avoir exploré le web dans ses moindres recoins, bref une sorte de divinité qui n'aurait plus de raison d'être internaute.

Voilà le truc : même en prenant un point de vue un peu désabusé, on arrive à la même conclusion – impossible de savoir si ce qu'on pense « maîtriser » en terme de tolérance dépasse le seuil du voisin. Vous imaginez un bête film où le vieillard, figure paternaliste incarnant la sagesse dans toute sa mansuétude nous sort soudainement   « - Moi j'ai tout vu, tout expérimenté, j'ai imprimé Goaste au dessus de mon lit. » … le commun des mortels ne le sait pas et c'est un secret bien gardé. Si le législatif créé HADOPI en découvrant Emule avec une rame de retard, imaginez ce qui nous tombera dessus si l'ONU entends parler des Pain Series. Vision d'apocalypse! L'ère des regrets est arrivée : retour au Minitel.

Autre question : qu'est ce qui nous pousse à franchir ces paliers, à mater toujours plus bizarre?

Le plaisir pur? ALLONS. Revenons aux bases du truc : LE HENTAI. Aussi glauque et barré qu'il puisse être. Souvenez vous, règle 36.1 : si ça existe, c'est excitant. Strictement tout possède une dimension érotique – c'était ouvertement l'objectif des snuffs movies, ces meurtres scénarisés. (Les amateurs de sensations fortes ayant maté Irréversible auront aperçu le réalisateur faire un caméo... cocasse) Cet état de fait est même parodié dans South Park, dans une séquence où Randy Marsh cherche un ordinateur connecté à Internet, parce que « quand on a vu des filles se vomir dans la bouche, on ne peut pas simplement retourner sur Playboy. » IMPARABLE.

L'hédonisme? « Ho ho, c'est tellement décadent, je vais aller me polir les tétons avec du papier de verre »

Le pur défi? « Allez, je suis UN HOMME, on m'a prévenu mais je clique sur ce lien louche de Dramatica. » Le shock site sonne comme un rite de passage, une obligation pour avoir la légitimité d'être "courageux" - il y a bien un moment où on se dit "WOW. Il serait temps de s'imposer des limites"

Les autres? Ils faut dire que les internautes blasés de tout sont joueurs et aiment bien entraîner les âmes innocentes. Il n'y a pas si longtemps, la mode étaient aux screamers ( hmm je dois trouver les 7 différences entre les deux images hmm WAAAAT *crise cradiaque *) et il est devenu de bon aloi de camoufler un shock site avec un lien réduit à la sauce tiny URL. La finalité de la chose? Penser aux réactions des victimes. JUST AS PLANNED.

Bon, assez parlé, place aux faits, voici une image un peu trash mais pas trop.

Afficher [attention les yeux!Masquer [attention les yeux!

ou la simple curiosité? Même si vous voyiez venir le fake depuis l'espace, vous avez cliqué. Vous avez pris le risque de vous faire violer les yeux. C'est courageux... et représentatif.

Ce « gain d'expérience » un peu spécial intervient pour tout le monde, en même temps. Après tout, la variable est bien NOTRE âge et pas celui d'Internet. On assiste alors à un espèce de phénomène de « désensibilisation » de l'Internaute aguerri. Il ne faut pas chercher bien loin pour trouver un ado de 14 ans qui joue à Saya no Uta et personne ne se gêne plus vraiment pour mettre le lien des pain series dans un channel en pleine affluence, là où tout est relativement soft. On perd en sensibilité, plus rien ne nous atteint et on le fait partager – on le prends avec une certaine distance, au mieux. Quand bien même on voudrait ignorer ce qu'on voit parfois, il y a l'écran entre les deux, la réalité devient toute relative avec cette distanciation. Qui n'a pas éclaté de rire devant le célèbre « babyfuck? » Qui n'a pas discuté Porn Child en plein cours magistral un poil chiant? Cela donne une mentalité, une expérience et surtout un humour bien à part, les internautes avertis sont un peu comme une grande secte. Parfois la distance est au coeur même du pire, comme dans l concept de "Safe For Work" où des internautes barbouilles au Paint des images porno/gore pour en faire des ébauches hilarantes aux postures cartoon. D'une autre manière, l'un des sports nationaux de Youtube est de se filmer en regardant les pires trucs - résultat lolant garanti. D'autres s'en inspirent pour faire de jolies ballades. On est en pleine schyzophrénie, faire du rire avec ce qui provoque le dégout ou les montées de lait.

En revanche l'expérience vient un peu de paire avec l'aigreur : on prends tellement de distance aux choses que plus grand chose n'a de valeur, on insulte à tout va et les phrases type du genre « Putain mais c'est quoi cette merde » se démocratisent. A moins que cela n'aille de paire avec la solitude du vieux loup devant son écran, où la distanciation s'inverse et on prends à coeur des choses sans importances. SERIOUS BUSINESS les enfants. En résumant cela on obtient Encyclopedia Dramatica. Hilarant... dégueulasse... mais vraiment drôle... mais glauque. Et aigri. Très, très aigri. "Le monde est corrompu", dirait le grand seigneur et maître Il Palazzo.

Alors comment pensez vous êtes gradé dans « l'expérience Internet? » Quel comportement adoptez vous quand vous avez un lien douteux, en toute connaissance de cause? Qui sont les vieux routiers du web?

Si une expression ou un mot vous a échappé, ne cherchez pas, les non-liens sont là pour ça.

Peace out.