J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne : NHK Ni Youkoso, le mangasse que nous aimons tous et qui a un anime pas trop foiré par Gonzo, vient de sortir en France. La mauvaise : c'est édité chez Soleil. Oui, ce Soleil-là. Après cet article d'ailleurs, j'ai reçu l'anecdote d'un auteur de bédé franco-belge qui a signé chez eux. Il pond ses dessins en noir et blanc, et avant de sortir ses pinceaux pour colorer le tout, il envoie les planches pour validation chez Soleil. Quelques semaines plus tard, alors qu'il est en train de peindre sa bande dessinée, il fait une pause pour aller s'acheter à bouffer à la supérette du coin... Où il tombe sur sa propre BD, déjà éditée par Soleil et coloriée à l'ordinateur par leurs soins. Véridique.

J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne : la traduction française est assurée par Florent "Pix'n'Love" Gorges. La mauvaise :

Hééé oui, c'est censuré. Il y a un an de cela, un gentil monsieur bossant pour Kurokawa m'avait expliqué que même s'ils avaient Genshiken dans leur catalogue, ils ne pouvaient pas se permettre de toucher à NHK en raison des quelques pages sulfureuses ; si Familles de France ou d'autres bouffons du même genre leur tombaient dessus, ils n'auraient peut-être pas les reins assez solides, du point de vue financier, juridique ou réputationnel. Ils savaient que d'autres éditeurs s'intéressaient à cette oeuvre, et qu'ils étaient autrement plus lourds qu'eux. Kana était également intéressé par NHK, par exemple. La version américaine de NHK est sous plastique et non censurée.

Bien évidemment, la réponse de Soleil concernant cette censure est vue et revue : les auteurs nippons étaient d'accord et sans ça, on aurait dû se limiter à une édition sous cellophane. Et alors ? NHK est déjà une oeuvre mineure, réservée à la niche d'un public déjà minuscule : les otakus conscients de leur condition. On s'adresse déjà à des adultes, et même sans les lolis, NHK n'est pas à mettre entre toutes les mains : on y parle de suicide, de drogue, de dépression, de viol, de camisoles chimiques... Pour tout avertissement sur ce contenu, Soleil se contente d'un minable logo au dos du livre : "parental advisory - explicit story". En anglais, sans aucune teneur préventive, et si ridicule qu'on s'attendrait davantage à le trouver sur des T-Shirts ironiques.

En ce moment, j'attends de me faire le roman, traduit en anglais chez TokyoPop et trouvable pour une bouchée de pain.

Ce manque complet de sérieux décrédibilise déjà Soleil, et l'on comprend bien que l'argument "il faut censurer pour publier" a plutôt valeur de "il faut censurer pour vendre à un public plus large, sinon ça sera pas rentable". Mais encore une fois, qui ? Les ados ? Il n'y a pas d'armes ou de violence à chaque page de NHK, et l'oeuvre est inconnue en France. Par contre, Blitz Royale, lui aussi édité chez Soleil, suite d'un film assez connu chez nous, avec des personnages adolescents surarmés et gavé d'hémoglobine, gagnerait un public plus large par cette méthode. Sauf qu'il est vendu sous cellophane, et non censuré... L'oeuvre étant plus connue : craignent-ils un plus grand risque d'être repéré par un procureur de la république qui s'ennuierait ? Ou une vraie réaction des fans qui appelleraient au boycott en cas de censure sur un manga qui se vend bien, lui ?

NHK ne peut être marketé à des ados, et une publication limitée aux adultes n'aurait donc pas réduit son audience. Contrairement à Ghost In The Shell, revu et corrigé dans sa version américaine avec l'aide de Masamune Shirow afin que les teenagers fans de cyberpunk puissent le lire.

C'est le coté français du problème de la censure : quand on est inconnu, on se prend la loi sur le cul. Mais quand on est académicien, on peut faire la promotion de récits pédophiles sado-maso sur France 3. Selon que vous soyez puissant ou misérable... Les mangasses s'étaient ainsi fait taper très tôt sur le museau , avec Tonkam pour Angel d'U-Jin, purement et simplement interdit d'exposition en 1995. A l'époque, des auteurs de BD avaient pris la défense de l'oeuvre au titre de la liberté d'expression, et Tonkam avait continué à publier le tout (on ne pouvait l'acheter que sur commande directe auprès de son libraire, puisqu'il ne pouvait être présenté sur les étagères). Aujourd'hui, le même Tonkam publie le même U-Jin en enlevant des pages et en dénaturant les textes (notez le troisième message dans le fil de conversation, mystérieusement posté juste après un modérateur par un compte créé pour l'occasion et allant dans le sens de ce dernier ; j'ai vu assez de guerrilla marketing pour le reconnaître quand il y en a). Les temps changent. Mais on l'a déjà dit : NHK est une oeuvre mineure, qui se vendra à bien peu d'exemplaires. J'ai beau en être fan, faut être lucide ; quand j'ai acheté le premier tome, je n'ai même pas calculé que c'était mon premier manga Soleil avant de regarder mon étagère.

Pourquoi se fatiguer à la défendre contre les méchants censeurs ? Tant qu'ils ne touchent pas à Blitz Royale, Akira, Zetman ou Dieu sait quelle oeuvre (re)connue, pourquoi s'inquiéter ? Indice : parce que le jour où ils s'attaqueront à un gros titre, là, il sera vraiment trop tard.

C'est bon, maintenant, on est dans la cour des grands, non ? Le manga est si massif qu'il a réduit la place de la BD franco-belge sur son propre territoire à quelques miettes de part de marché. A présent, les médias ne disent plus que c'est violent et plein de sexe, mais que c'est bon enfant. France, 2008 : l'image du Club Do est derrière nous, Jirô Taniguchi vend plus en France qu'au Japon, Japan Expo est le plus gros évènement européen en la matière. Les preuves sont faites, Naruto est l'ami des enfants et le manga est dans le camp des gentils. Donc ça y est, on peut publier des trucs pour les grandes personnes ? On peut considérer que sortir MPD Psycho ou Evergreen est possible sans être médiatiquement étiqueté comme adulte immature ? Que le marché est assez grand pour ne plus être considéré comme réservé aux ados ? Que le public est assez mûr pour ne pas imaginer que les livres cellophanés sont tous synonymes de pornographie, mais simplement d'histoires à ne pas mettre entre toutes les mains ? Qu'un gros éditeur disposant de licences juteuses comme des planches à billets peut prendre le risque de publier des oeuvres anecdotiques pour le bien de sa ligne rédactionnelle, et sans les censurer en espérant en vendre trois exemplaires de plus ? Après trente années d'existence en France, c'est encore trop tôt pour espérer tout ça ?

Mise à jour : Le directeur de la collection Soleil Manga s'exprime dans les commentaires sous le pseudonyme "Iker". J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne : je ne m'attendais pas à une telle ouverture d'esprit de la part du grand méchant Soleil, vu qu'il présente le point de vue éditeur avec une grande honnêteté. La mauvaise : je ne sais pas comment il a atterri ici.