Comment le Japon, qui est un archipel d'îles aussi petit, a t-il pu satisfaire pendant des siècles les besoins en bois de son peuple tout en gardant autant d'espaces verts jusqu'à nos jours ? Réponse : les shoguns du temps d'Edo avaient vu venir la déforestation et avaient fait respecter des règles très strictes aux bûcherons. A présent, le pays est largement urbanisé, et il faut croire que situer une histoire dans un petit village coincé au milieu d'une forêt aide bien à terrifier le téléspectateur yuppie - "est-ce que mon portable pourrait capter le réseau si je me retrouve à la place du héros, poursuivi par des villageois tueurs dans ce bled paumé ?"

Non, sérieusement. Les villages perdus dans la forêt, ça fout la trouille. Y'a toujours une secte de fanatiques armés de fourches, des mythes ancestraux dignes de la chasse aux sorcières, ou un monstre à tentacules planqué dans une grotte... et il y a toujours un moment où ces saloperies décident de sortir au grand jour. Par exemple, Tajikarao raconte l'histoire d'un bled paumé, mais se concentre sur les évènements avant que ça parte en sucette. Au contraire, la série de jeux vidéo Project Zero (vous savez, avec les lolitas qui utilisent un appareil photo pour capturer des esprits) nous emmène dans des villages en ruines, et il appartient au joueur de comprendre ce qui s'est passé. Higurashi No Naku Koro Ni est un anime qui aborde précisément l'instant où la merde vole contre le ventilateur. Si précisément, en fait, qu'on va le revivre plusieurs fois et sous plusieurs points de vue.

Une fois n'est pas coutume, voici encore un anime basé sur un(e série de) jeu(x) vidéo. L'avantage évident pour les producteurs a déjà été abordé dans cette colonne : design, histoire et fanbase déjà existants, et contrairement aux adaptations de mangas, y'a même pas à se casser le cul à chercher des correspondances de couleur dans son Pentone - au risque de voir des hordes de fans traumatisés par des cheveux verts qu'ils croyaient jusqu'ici blancs. Ca tombe bien, d'ailleurs : dans Higurashi, nous avons notre dose de personnages aux cheveux verts ou bleus, une tendance capillaire propre à la Japanime (loi numéro 31) que je commencais à croire en voie de disparition. Ou alors, c'est que j'ai fini par m'y habituer. Ou bien c'est parce qu'on ne voit plus ça que dans les harem animes et autres repaires à filles peu farouches, genre que je fréquente de moins en moins (non vraiment, j'essaie d'arrêter, c'est promis monsieur le juge).
Et des filles peu farouches, il y en a dans Higurashi ! De la loli comme on les aime, qui fait des bentôs, qui a des cheveux verts, qui finit ses phrases par "-desu", qui cache un secret inavouable, qui porte un flingue bien en évidence sans que personne ne s'en émeuve, qui a un énorme tatouage de yakuza visible dès le générique, qui vire schizophrène avec les pupilles félines qui vont bien, et qui cherche à vous torturer à mort en vous plantant des clous entre les phalanges.

Higurashi No Naku Koro Ni est un blasphème au mythe de la lolita, et doit foutre une trouille sans pareil aux otakus. Pensez donc : ils ont été éduqués pour comprendre que dans les animes, "lolita = peu farouche". Sauf qu'Higurashi est peuplé de lolitas tueuses, ce qui est une entorse majeure à la règle du jeu.

Tout est dit dès le prégénérique du premier épisode : il va y avoir du sang, et pas qu'un peu. Puis l'opening se lance, sur une chanson que je n'ai pu décrire que par "Aphex Twin se met à la J-Pop" (en fait, c'est du I've qu'on a connu bien moins sombre) tellement le sentiment de malaise est présent.
Mais l'épisode à proprement parler est un harem anime des plus classiques, avec filles à cheveux multicolores et tout le reste, jusqu'au filtre de flou artistique sur l'écran pour donner un coté chalereux à l'image (ou vous faire croire que votre allergie au pollen ne s'améliore pas). On suit un groupe de jeunes dans leur bled paumé dans une forêt, et la suscitée merde va voler contre le ventilateur. C'est la plus grande force d'Higurashi : une incroyable maîtrise du suspense, faisant monter la tension comme un blanc d'oeuf qui ne tarde pas à voler à la figure du téléspectateur. Certains épisodes m'ont fait couiner de peur comme une gamine de dix ans, claquer des dents ou perdre le sommeil.

J'ai dit plus haut que nous sommes amenés à revivre plusieurs fois la tragédie d'Hinamizawa, ce village-perdu-dans-la-forêt. La série originale de jeux vidéo est composée de huit volumes (yay pour le contenu épisodique), le dernier étant prévu pour cet été. Il y a quatre histoires parallèles (lisez "gaiden" si vous êtes un otaku), ensuite revisitées une seconde fois avec quelques variations ou un point de vue différent. Comptez quatre épisodes d'anime pour couvrir un chapitre du jeu vidéo.
Ainsi, on repart de zéro après chaque quatrain (je sais que c'est un terme de poésie, j'essaie juste d'être un peu littéraire) : alors qu'on vient juste de se faire éclabousser de caca parce qu'on était à côté du ventilateur et qu'on en tremble encore, on retombe soudainement dans une nouvelle version, avec lolitas à nouveau innocentes et filtre flouté sur l'image... et le pire, c'est que ça marche. Terrorisé à un épisode, fondant de bonheur avec un sourire idiot devant les dialogues sucrés moé-moé du suivant. Jusqu'à ce que quelqu'un mette en marche le ventilateur, et c'est reparti pour un tour.

Reste à savoir si ce Reset régulier ne risque pas de lasser. Mais le but de cette construction narrative, c'est pousser le spectateur ou joueur - car les jeux vidéo Higurashi sont des digital comics, avec un seul déroulement possible - à échafauder des théories au fur et à mesure des variations de chaque scénario, et espérer résoudre le mystère des lolitas tueuses. Franchement excellent.