Avant de commencer, je dois bien évidemment offrir mes kudos à M6, qui, ce dimanche dernier, a prouvé (mais était-ce bien nécessaire ?) combien il est facile de faire de l'audimat en étant démagogue. Pléonasme s'il en est, vu que le but précis de la démagogie est de choper l'audience la plus large possible. Cas d'étude présent : une Zone Interdite (présentée par une bimbo promotion-canapé) consacrée aux lolitas. Génial, non ? Comme ça, on ratisse le public loli prépubère, les crises de la quarantaine (et au delà) à la pédophilie dormante, et les
pré-crises-de-la-trentaine qui assument mollement leur attirance pour ces créatures "presque légales" - juste pas assez pour vous sauver de la prison, d'où le terme anglais de jailbait. Ou pour les otaques, on dit "lolicon" pour "lolita complex".
Bref, M6 a mis le paquet, et je les en félicite puisque ça a marché - la preuve, on en parle. On en a parlé toute la soirée de dimanche pendant la session IRC, où les habitués étaient rivés devant leur téloche, allant jusqu'à faire des captures en temps réel pour que tout le monde puisse admirer le spectacle. J'hésitais à préserver leur anonymat, mais merci à Nefka et Mdt, dont les images ont été récupérées moins de 24 heures plus tard par notre copain JpopTrash. Qui a ensuite retiré ladite page, M6 semblant ignorer le droit à la citation et à la parodie, mais on s'en charge. Chacun son boulot, après tout : JpopT défonce les loligothopouffes, Boulet se fait les chats, je m'occupe des fansubbeurs mentalement régressifs... Mais au fait, qui s'occupe des kevins ? Il y a bien ce type, mais il y a un problème ; sur le même blog, il poste des articles anti-Kevins et des photos où il se travestit (note : si vous avez cliqué sur ce lien, vous n'avez que ce que vous méritez), je cite, "après avoir fini mes devoirs". Notre chère Kaede essaie de s'y coller, mais la tâche s'annonce rude. Tiens, pendant qu'on en est à poster des blogs, vous avez déjà vu le plus court blog nymphomane au monde ?

Perso, j'ai pas vu le reportage : pour aussi dingue que ça puisse paraître, la Freebox a toutes les chaines musicales de M6 et même W9, mais pas M6 proprement dite. Mais rien que les récits ont suffi à me rappeler pourquoi le seul usage acceptable de la "télévision" est d'y brancher une console de jeux vidéo. Certains utilisateurs parlaient carrément à leur poste via IRC :

Mdt: y'en a une laide et une pas mal
Mdt: omg la maid elle ferait rever poshu
raton-laveur: screenshot !
Nefka: (elle a 14 ans et elle existe en vrai)
somnambule: bien sur que c'est de la provo conasse t'as 14 ans
raton-laveur: jailbait
Mdt: elle a des gants de dentelle blanche
[...]
Nefka: "nous sommes en pleine régression"
raton-laveur: qui ?
[...]
raton-laveur: PUREE DANS LES RUES DE PARIS WTF
kraken: tain j'en ai jamais croisé moi
Legion: HOLY JUMPING JESUS CHRISTMAS BISCUIT
raton-laveur: purée mais ce visage de BJD
Legion: Dieu existe !
raton-laveur: (ball jointed doll)
raton-laveur: Whisky Tango Foxtrot
kraken: tête à bukkake ça
raton-laveur: tete de poupée oui
[...]
somnambule: ils ont prononcé cosplay "cosplaie"
somnambule: yay


Forcément, c'était trop tentant, et il a fallu que ma conscience me pousse à brûler 815 Mo de mon disque dur...



... pour vous épargner la fantastique stupidité de ce document, si dense qu'on pourrait la couper avec une scie. Je pourrais jurer devant une cour de justice que je n'ai pas regardé M6 depuis plus de sept ans, mais là... Mentalement, c'est comme si on vous coulait du béton dans la boite crânienne, vous sentez vos neurones qui s'étouffent les uns après les autres. Bien sûr, la "rédaction" s'en tape : ils ont certes un forum sur lequel les téléspectateurs pratiquent des activités aussi intellectuelles que "se lancer des excréments à la figure" ou "crier au fake toutes les 5 minutes", et que personne chez M6 ne lit. Radios-télés-journaux réalisent que le Web leur bouffe leur part de temps de cerveau disponible, et un marketeux débloque le budget pour concocter un site internet avec les trucs à la mode, genre Web 2.0, podcasts - et une masse de publicités pour essayer de rentabiliser la chose, on est pas les Soeurs du Bon Secours. A votre avis, pourquoi ont-ils demandé à JPopTrash de virer leur page ? Symptômes d'une fuite en avant des médias traditionnels qui n'ont rien à cirer du Net et n'y comprennent rien, si ce n'est qu'il sera l'architecte de leur chute.

Je résume : on voit trois lolis qui s'habillent comme dans une version dégénérée d'un manga Clamp et croient que c'est la norme au Japon. On a même droit à un cosplay en plein Paris d'une maid (sincèrement M6, merci pour ça)... vous la voyez, la boucle infinie ? Les maids nipponnes sont basées sur les soubrettes françaises du XIXème siècle ; nous avons donc une française qui arbore un assimilé japonais d'un costume français. Rien que d'y penser, j'ai mal à la tête. Juste après ça, le "reportage" (je continue à utiliser ce terme avec une grande tolérance) s'offre un passage à la Japan Expo. Et la voix off s'en donne à coeur joie : "des jeunes qui refusent de grandir, [...] nous sommes en pleine régression."
Les chambres des filles sont couvertes de posters, mais elles sont autrement vides. On aperçoit une petite étagère avec les classiques Nana/Fruits Basket, mais ça s'arrête là ; merde, ce qu'il y a en ce moment sur mon bureau suffit à dépasser toute leur collection. Par contre, y'a une constante : l'ordinateur, son MSN, son skyblog (l'émission était pas terminée qu'un épitaniméen me refilait les skyblogs d'une demoiselles du reportage) et, sans faire la langue de pute, les softs de peer 2 peer. Ma wé chuis une ado jé po d'argent alors j'vé chez Junkuuu et j'regard mé j'achét pooo car jé les scans, bé oué.

"Mon idéal est de ressembler à une japonaise, ils ressemblent à des anges". "M'habiller comme ça me renvoie à mon image du Japon". "Les Japonais respectent [les fringues excentriques]". Nom de Dieu. Vous n'êtes pas japonais. Vous ne parlez pas un gramme de japonais. Vous écoutez de la musique aux paroles que nous ne comprenez pas. Vous fringuer comme des créatures marketing pondues pour une industrie concentrée sur son propre nombril nationaliste ne vous enseigne rien sur la culture millénaire d'un des pays les plus riches au monde. En fait, si quelqu'un doit bander en voyant ce "documentaire", c'est bien les socio-économistes nippons ; leur culture visuelle moderne est si répandue que des jeunes à l'autre bout de la planète en oublient la leur. La preuve.



Après ce "reportage", Erwan Yuki Kario de Kermalek a disparu de la circulation, mas reste activement recherché. Si vous avez des informations à son sujet, contactez le camion de CRS le plus proche.


Erwan alias Yuki : il a le prénom le plus breton de ce côté de l'équateur, sa famille - comment a-t-elle pu laisser faire ça ? - a clairement une fierté péninsulaire qui doit arborer un nom avec plein de sons en K genre Kermalec ou Kario, et ce garçon se surnomme "Yuki", en référence à Dieu sait quelle créature artificielle inventée à l'autre bout du monde. Son héritage breton pleure, les crêpes bretonnes pleurent, les demoiselles bretonnes avec leurs généreux corsages levés à la crème pleurent. Même les gars qui faisaient du rap celtico-breton étaient plus authentiques que ce type, avec leurs HEY HO LE NOUVEAU SON DE MANAU !

Bien sûr, ces erreurs de la nature sont présentées comme la norme : de nos jours, les lolitas se promènent dans la rue fringuées en maids, se scarifient des logos ésotériques et invoquent la magie noire. Y'a de quoi se la couper et s'engager dans les ordres religieux... Peut-on parler de reportage ? Les gars qui ont filmé ça ont dû envoyer quelques mails à des gamins qui tiennent un skyblog pour trouver des volontaires. C'est une émission-maronnier du niveau de la rubrique des chiens écrasés, rejouant ad nausea le sujet "ah, les jeunes d'aujourd'hui" - qui sont donc otakus (ils ont utilisé, ou plutôt inventé, le terme de "japan maniac"), anorexiques et/ou gothiques. Ah, la télé d'aujourd'hui.

Mais au fond, en quoi sommes-nous différents, nous autres otaques plus ou moins assumés, de ces dénégations vivantes de la théorie évolutionniste de Darwin ? Okay, déjà on écrit pas en SMS. Ensuite, on a quelques années de plus - mais si peu ! A leur âge et même avant, nous étions tout aussi accros aux mangasses, non ? Mais est-ce qu'on croyait que les robots géants arpentaient les rues de Tokyo ? Est-ce qu'on croyait que penser trèèès fort à une boule d'énergie générait un Kamehameha ? Est-ce qu'on se mettait à hurler "TETSUOOO" en arrivant sur un stade pour un évènement sportif ? Est-ce que nos seuls achats se limitaient aux hors-séries spécial posters de Kogaru ou Japan Vibes et à quelques CD HK ? Sous-entendu : on avait déjà un peu plus de plomb dans la cervelle - et le temps passant, on a bien pris conscience que nous sommes des objets du marketing. Jusqu'à cet article, puisque comme je l'ai dit en ouverture, M6 a fait en sorte qu'on parle d'eux et ça a marché. Les studios nippons font en sorte qu'on achète leur came et ça marche. Tous ces arguments "culturels" sont un artifice économique, on le réalise, mais ça n'empêche pas la machine de tourner.
Ces gosses s'habillent plus mal que Séverine Ferrer, gobent sagement une image foireuse d'un pays dont ils ignorent tout, et même s'ils passent leur temps à pirater, ils sont les gentils petits soldats d'une invasion économico-culturelle qui se déroule sans le moindre accroc. Vous avez vu l'état de la bédé française ? Du cinéma d'animation américain ? Le marché du jeu vidéo ? La Chine s'éveille, le Japon endort les jeunes esprits occidentaux. "Invasion", "petits soldats" ; j'utilise ici des termes assez rudes, oui. Est-ce une guerre culturelle ? Pas besoin de choisir son camp, il suffit juste d'être conscient de la situation... et nous le sommes, à grands coups de textes quelque peu réfléchis. Ces jeunes se feraient sauter avec une ceinture d'explosifs chez les éditions Dupuis pour arrêter le manga Spirou sans avoir compris qu'ils étaient de purs résultats d'un marketing efficace. Avant d'appuyer sur le détonateur, il est bon de réaliser que ce qui régit votre vie se résume à une liasse de billets.

Bonus : JPop-Trash s'est donc fait menacer par le service juridique de M6 après leur article sur cette émission, amenant les trasheurs à retirer la page de leur site. Sauf que l'éditotaku a une copie, et elle est ici !