Les habitués de cette colonne le savent déjà : je suis un fan d'Ito Ogure, alias Oh! Great. Mangaka complètement barré et au style génialement exagéré, il est parvenu à détrôner Satoshi Urushihara dans mon petit coeur tout perverti, catégorie "dessinateurs de femmes toutes nues". Exploit en soi, vu que l'auteur de Lemnear ou Plastic Little était en haut de mon classement depuis presque quinze ans...
Faut dire qu'Oh! Great assume sérieusement : ses premiers titres cochons s'offraient le luxe d'avoir une histoire qui tenait debout, et Naked Star, son ouvrage hentai le plus récent, fait cotoyer quelques histoires sans scènes licencieuses à côté de one-shots hallucinants de perversion. N'allez pas croire que tout cela est réservé au domaine de l'import ! Entre Tenjou Tenge (too hot for America) que nous avons ici en manga à la traduction française basée sur l'édition italienne et Air Gear qui avait commencé sa parution dans le Shonen Collection des éditions Pika (en attendant les volumes reliés), ses titres les plus récents sont disponibles. En cherchant un peu, on trouve également sous nos latitudes le manga Himiko Den (1999, édité chez Génération Comics), qui raconte une histoire médiévale-fantastique dans un univers partagé avec le jeu vidéo playstation et l'anime éponymes - le projet dotHack n'a rien inventé -, et Majin Devil (qui contient une ragoûtante scène d'accouchement d'araignée géante sortant d'une étudiante alitée à l'infirmerie scolaire).

D'une certaine façon, les mangas d'Oh! Great sont l'archétype du manga selon le stéréotype des familles de France remontées contre le Club Dorothée : bourrés de violence et de sexe (pas si) insensés, femmes trop sculpturales pour être honnêtes (chez cet auteur, elles mènent toujours le jeu), histoires à la narration désordonnée, et le tout exagéré dans des proportions délirantes. Mais c'est précisément ce que recherche et aime mon moi otakiste au niveau le plus primaire, viscéral, éhonté. La démagogie, c'est s'adresser à l'instinct le plus primitif de l'homme pour s'adresser au plus grand nombre : la violence et le sexe, c'est la meilleure façon d'y arriver. La télévision l'a bien compris et applique à la lettre la philosophie de Cléon en gavant les ondes de reality-shows. Oh! Great est-il un démagogue, en me faisant tomber sous son charme par la plus vieille méthode du monde ? Peut-être pas : au fond, il ne suffit pas de mettre culs et nichons pour me faire tomber (?), encore faut-il bien s'y prendre. Or, Oh! Great s'y prend à la perfection. Démagogue, peut-être, mais alors démagogue de choc.

Sauf qu'à sa décharge, ses mangas ont un gros défaut. Ils sont si soignés, si beaux (toujours), si complexes (parfois), si pervers et dénués de tabous (souvent) qu'ils ne semblent supporter aucune adaptation dans un autre format. En anime, par exemple. La série télé TenTen avait pas trop mal commencé, mais le budget semble avoir été englouti par les premiers épisodes tant la qualité s'est vite dégradée - avant de finir dans le mur, bien incapable de communiquer le trop vaste univers original.
Là, c'est Air Gear qui s'y colle. Air Gear, c'est une équation simplissime : Jet Set Radio + Oh! Great = raton-love. Toujours ce soin maniaque du détail, le monde énorme, les personnages que rien ne retient, les scènes hallucinantes que le lecteur gobe sans ciller. Dans mon article sur l'anime de Tenjou Tenge, j'avais dit qu'Oh! Great était bien le seul à dessiner une héroïne qui porte un kimono sur une page, du cuir sur la suivante et rien sur la troisième - et que le lecteur trouve ça normal. Ou qu'un type arrête d'un seul coup de poing une Benz-Benz-Benz qui zoome-zoome sur lui, que ladite voiture fasse un salto, et que le lecteur (encore lui) reste zen-zen-zen. Dans Air Gear, on arrête un camion de 30 tonnes d'un coup de boule et on escalade des immeubles avec des rollers boostés.
Et comme prévu, la transition en anime du manga à rollers glisse comme du Brian Joubert aux JO de Turin : gamelle monumentale. Sauf qu'ils n'ont rien fait pour qu'il en soit autrement, quand même. Le style Air Gear, avec ses graffitis déjantés suivant chaque personnage dans ses tricks ? Son côté légèrement ecchi ? Son rythme ultra-rapide ? Inutile d'espérer tout ça quand cet anime n'est même pas foutu d'avoir un générique correct, tout en glissements de cellulos et en personnages statiques. Vous savez déjà que les intros d'animes sont toujours chiadées : comme le téléspectateur va devoir se les taper 13 ou 26 fois, y'a intérêt à soigner la minute trente d'ouverture. L'anime Himiko Den, tiens ; son générique d'ouverture est un chef d'oeuvre, carrément réalisé par Keiji Gotoh. C'est presque une règle, lectorat adoré : si l'intro, un morceau d'animation de 90 secondes qui doit supporter les rediffusions multiples dans l'esprit du spectateur, si les producteurs ne sont même pas capables de faire ça correctement, c'est très mauvais signe pour la suite. Avec Air Gear, je crois qu'on a tout simplement le pire opening que j'ai jamais vu. Okay, on voit tout de suite qu'ils n'ont rien compris au style, okay, la chanson choisie est naze, mais ils auraient au moins pu faire quelque chose de dynamique. J'ai vu mieux en Flash sur le Web.
Pour le reste, que dire ? Les seiyuus n'y croient pas une seconde, les animateurs non plus, les couleurs sont baveuses, les décors sont minimalistes... seul point positif, ça a le mérite de ne pas traîner - au point que des trucs aussi inutiles que le "développement de personnages" part aux oubliettes. Je dirais de l'anime d'Air Gear que c'est un gâchis s'ils avaient vraiment tenté d'en faire quelque chose... Mais il n'en est rien : il s'agit d'un programme télévisuel pour occuper 26 minutes d'antenne qui n'a strictement aucun intérêt et qui n'a aucune motivation pour avoir le moindre intérêt. Sans doute que ça sortira en DVD chez nous - et là, nous pourrons vraiment parler d'un gaspillage de ressources qui auraient pu servir à localiser n'importe quel autre anime un tantinet plus intéressant (comme Himiko Den, tiens). Nullissime.