par Pharaoh

Takeshi Kitano. Ce type est fascinant. Non mais c'est vrai, vous avez vu la dégaine ?! Le corps un peu courbé, un oeil à demi clos, l'autre bien vif, et ce costume noir, ou cette chemise à fleurs. Un mélange d'amertume et de bouffonnerie : une dualité omniprésente chez Kitano. De par ses deux personnalités, celle exubérante et comique, l'autre austère et dévastée, il pétrit des long-métrages tout à la fois complexes et simples, drôles un instant, puis profondément déchirants.

Son Violent Cop, première oeuvre de réalisateur, est empreint d'une vraie noirceur : déjà cette torpeur dans les plans, cet air gauche de l'acteur, déjà quelques figures récurrentes de sa filmographie future, et des thèmes, comme celui des yakuza (thème viscéral chez Kitano, son père étant mafieux). Aussi quelques longueurs, des maladresses ; l'homme ne connaît presque rien du cinéma quand il aborde le projet, il ne devait d'ailleurs pas le réaliser. Qu'importe : il essaie les procédés, s'enlise un peu parfois, mais parvient à captiver, parvient à enfanter une scène finale infernale, d'un puissant jeu de lumière.

Avec le recul, Hana-Bi pourrait avoir quelque chose d'un peu mièvre et manquer de rythme. Mais tout nous le fait oublier : les plans sur les peintures, d'une vraie naïveté de forme, sont ravageuses, sans que l'on puisse en expliquer la cause. Les réminiscences, exprimées par les scènes au ralenti, empoignent le temps autant que notre esprit. La force de Kitano, c'est d'avoir brossé, en quelques passages, des personnages dont on ne sait pas grand-chose mais qui font naître l'empathie par le jeu sincère et par un destin déchirant. On entend çà et là que Sonatine n'était qu'une ébauche à Hana-Bi, les pétards avant les feux d'artifices (jeu de mots linguistico-pourri, Hana-Bi signifiant "fleur de feu" en japonais, soit "artifices"), mais l'opinion me semble vraiment exagérée, tant le premier film a de qualités.

Mais le temps et l'inspiration manquent pour établir toute la filmographie du réalisateur, terminons donc sur un film, le plus amer peut-être, le plus lent, tout plein d'une légère emphase : Dolls. Grossièrement, Dolls, ce sont trois embranchements, pour trois histoires d'amour racontées en même temps, avec leurs différences de jeunesse, de situation, etc. Déchiqueté par la critique, ce long-métrage emporte pourtant presque ma préférence (presque, car difficile et vain de choisir). C'est une peinture des passions, une peinture dans la composition : quel détail, quelle harmonie des couleurs, il en jaillit un vrai lyrisme, le film est contemplatif mais sans boursouflure. D'aucuns critiqueront la lenteur, l'absence de rythme même : mais toute l'atmosphère, pesante, étranglante, en dépend. Sans son immobilité, le film perdrait certainement beaucoup.