La japanime est une industrie. Les occidentaux s'acharnent à reconnaître une forme d'art dans le soin apporté à ces produits fabriqués à la chaîne pour les mass medias, dans leurs mécanismes de narration atypiques ou dans les multiples niveaux de "lecture". Pourquoi vouloir leur donner une légitimité à tout prix? Est-ce que les otakus font ça par passion ou parce qu'ils tiennent à se convaincre eux-mêmes qu'ils ne perdent pas leur temps?

Grande nouvelle: on s'en fout. L'intro au-dessus ferait fureur comme intro pour un article pseudo-intellectuel ou pour une dissertation de philosophie (sujet: "Les gros seins, pour ou contre?"). J'ai commencé ainsi pour rappeler que quand on est un aspirateur à fric, il faut parfois gratter dans les coins de la salle pour s'assurer qu'on a bien râtissé le plus large possible. Yakitate Japan est un de ces projets schizophrènes qui se prennent tantôt au sérieux (pour que le téléspectateur n'ait pas l'impression qu'on le prend pour une buse), tantôt au second degré (pour que les sponsors n'aient pas l'impression qu'on les prend pour des buses). On connaît ça avec les animes qui parlent d'un sujet ultra-pointu et qui tentent de le présenter à un public plus large: qu'il s'agisse de sport, de culture ou de jeux vidéo (qui a dit "le manga King of Gamers"?). Certains évitent ce dédoublement de personnalité: Hikaru No Go en étant l'exemple parfait. Mais pour un HikaGo, combien de Laura ou la Passion du Théâtre, de Slam Dunk, d'Initial D? On en arrive à penser à des conspirations du genre: l'association japonaise des troupes de théâtre/tuneurs/boulangers/"insérez ici un métier ou un hobby obscur" pense qu'elle n'a pas assez d'adeptes. Mais elle a du fric. Alors elle engage un mangaka pour répandre la bonne parole. Ce qui me fait réaliser que si cette théorie est bonne, le lobby des servantes et autres "assistantes de maison" est incroyablement puissant au Japon. En tout cas, les résultats sont là, même chez nous: le nombre de licenciés de la Fédération Française de Volleyball avait explosé quand "Jeanne et Serge" passait sur la Cinq, sans parler du jeu de Go... Allez savoir si Dead Or Alive Xtreme Beach VolleyBall a eu le même effet.
Au fait, Yakitate Japan est un anime de boulangerie. Non, vraiment. Bon, arrêtez de me regarder comme ça, c'est gênant. On voit donc des apprentis bonne pâte suant sang et eau pour pétrir le levain avec ardeur, le chauffer avec amour afin d'exhiber leur belle baguette. Il y a bien une fille dans ce truc, mais ses miches n'ont rien d'exceptionnel. En parlant de cuisine, la recette de ce genre d'anime est éprouvée: le jeune plein de passion, le rival surdoué, les duels au grand jour, les techniques cachées, les sous-entendus homo-érotiques et un manque complet d'originalité. Quand les boulangers français ont fait leur pub, ils nous ont sorti une campagne aussi conne que "si on ne mange pas de pain, un jour il n'y en aura plus"; à l'époque, j'avais pris ce slogan pour un éloge à la violence. Les lobbyistes français devraient regarder sur leurs collègues japonais et leur anime pour en prendre de la graine - ou plutôt de la farine... On se plante donc devant Yakitate et on a droit au boulanger d'en face qui est un français pédéraste, à un hémicycle de spectateurs venus assister à un duel de pains (diffusé à la télé, et je parle pas de boxe), à des maîtres qui portent cape et plumes. On se dit que c'est à prendre au second degré, et puis on voit de véritables petits cours sur la qualité de tel sucre ou tel lait... On les sent, les associations de boulangers en coulisses, les yeux rivés sur les statistiques des étudiants en boulangerie. Peut-être qu'ils piquent une crise quand les héros reçoivent pour mission de faire un pain "que même un cheval trouverait bon".

Un côté du cerveau se dit que bon, après tout, pourquoi pas, pense à HikaGo: si ça peut marcher pour un jeu de plateau millénaire, les animes peuvent nous parler de n'importe quoi de façon passionnante. Puis l'autre partie du cerveau, celle qui nous dit "ça coûte 200€", "ne fais pas ça" ou "ne la crois pas, elle a moins de 18 ans" nous affirme: "mais... c'est un anime... DE BOULANGERIE!" Et sincèrement, que lui répondre? C'est vrai, en restant à bonne distance de l'écran et en se bloquant sur le second degré, on évite de se suicider par insertion de baguette dans le rectum. Surtout qu'avec un tel sujet (la boulangerie, pas le cul), il y a du grain à moudre. Mais ça n'est pas drôle pour autant - en fait, je suis resté de marbre. En japonais, "pain" se dit "pan": et on a droit à des jeux de mots genre "Ja-pan" ou "Pantasia" (le nom de la boulangerie où les persos bossent) jusqu'à ce que du levain vous coule par les oreilles. Scénario passant par tous les lieux communs des mangas abordant des sujets clandestins, techniquement réduit au strict minimum en animation et en dessin (pourtant, le staff n'est pas composé d'inconnus: la musique est même assurée par Taku "Read or Die, Witch Hunter Robin, Kenshin Tsuioku Hen" Iwasaki), à l'humour qui tombe aussi plat que les pâtons pétris à longueur d'épisodes, la version animée de Yakitate Japan est une pâte congelée mal réchauffée au four micro-ondes. Et peu importe la température, même si on le prend au 200° degré j'accroche pas. En France, on appellerait pas ça "boulangerie" mais "pain chaud" - c'est la législation qui veut ça. Mangez des Cracottes!