On y retourne pour un tour, cette fois pour parler du jeu en soi - le DVD inclus dans la boîte grosse comme deux PC ATX mis côte à côte.
Steel Battalion (Tekki en japonais: ça veut dire “Chevalier d'acier” ou un truc dans le genre) est un jeu de Mechs; des robots de 50m qui se mettent sur la gueule, donc. Les auteurs ont tenté de faire la meilleure simulation en la matière, si ce n'est carrément le meilleur jeu. D'où la manette assortie.

Pour le scénario, on est en 2080 et une guerre est déclenchée entre une petite île artificielle et une sorte d'ONU des pays du Pacifique. L'histoire est relatée à travers un background assez solide, via des photos retouchées et un résumé dans le manuel d'utilisation; notons que les noms de l'île (Hai Shi Dao) et de ses territoires ont une forte consonnance chinoise... Dans tous les cas, ça reste crédible pour le genre et c'est le principal. Vous jouez un jeune pilote sans expérience qui arrive à détruire deux robots ennemis dès son premier jour.

Gameplay: le gros point du jeu. Comme les jeux vidéo sont en train de devenir un loisir tout public, il devient de plus en plus difficile de créer un jeu réservé à un public particulier. Les éditeurs se débrouillent en mettant des restrictions d'âge, en faisant un jeu difficile à maîtriser rapidement, ou en multipliant les éditions limitées/collector/etc (parfois pour maquiller un prix plus élevé, autre facteur de discrimination du public).
SB est réservé à un public très précis: le fan d'animes/jeux vidéo qui peut prononcer “Dual Parallel Trouble Adventure” trois fois de suite sans baver partout avant de dire combien cette série est à chier. Je garde pas le suspense plus longtemps, le but est atteint: ils ont fait un jeu à tirage limité, cher, et où l'on peut choisir les voix en anglais ou japonais dans les options (en plus, il n'est pas traduit en français, à l'exception de la notice).
Le gameplay, donc. J'ai cette manie de tout extrapoler, faut que je me soigne. Dans les cinématiques, dans les briefings, dans tout le jeu, il est sans cesse fait référence au sacro-saint manuel. C'est bien simple, dans la vidéo d'intro, le perso principal pense pouvoir arriver à piloter “en lisant le manuel”, alors qu'il n'est même pas monté dans une simulation! Votre premier objectif est donc de buter deux robots, sans aucune indication à l'écran, sans aucun tutorial, sans explication des touches: si vous vous êtes cru devant MechAssault et n'avez pas touché au beau livre fourni, vous êtes déjà en train de pleurer.
Perso, j'ai quand même exploré le bouquin avant de commencer, et cinq ou six tentatives ont été nécessaires. La learning curve est simple: après une heure, vous pouvez coucher quelques ennemis sans trop souffrir, et après cette première heure, le reste vient facilement tout seul. Preuve qu'un tutorial aurait largement élargi le public-cible: en guidant des novices complets en matière de jeux vidéo (juste intéressés parce qu'impressionnés par la taille du contrôlleur), je suis arrivé à leur faire passer la première mission du premier coup. Conclusion: le jeu est très facile à prendre en main, si vous n'êtes pas celui qui a subi la “première heure” dont je parlais.

Autre point du gameplay: vous créez un profil en début de partie. On vous donne un robot, et si vous en voulez un autre ou le faites exploser, vous devez les acheter avec du fric gagné en fin de mission.
Si vous vous faites bourrer le mou sur la ligne de front, vous devez vous éjecter (bouton protégé par capuchon sur la manette). Si vous ne le faites pas à temps, la sauvegarde sur le disque dur de la Xbox est détruite.
Si vous vous éjectez mais que vous n'avez plus assez d'argent pour acheter un nouveau robot, la sauvegarde est également détruite.
Indépendamment de cela, les missions déjà accomplies sont rejouables à l'infini avec les robots déjà achetés (dans un mode de jeu “Free Game”). Mais si vous merdez la dernière et que vous êtes game over, vous allez devoir vous retaper tout le jeu pour réessayer. Ajoutez à ce twist de gameplay le fait que le jeu a une difficulté assez corsée et vous en menez déjà moins large... Parce que ça marche. Par exemple, la mission 4 (qui est des plus subtiles) me faisait de plus en plus flipper au fur et à mesure des échecs, mais après l'avoir réussie et obtenue en Free Game, je pouvais la boucler sans problème. Petite astuce: créez plusieurs profils et faites-les évoluer en même temps: dès que vous réussissez une mission, mettez les autres pilotes à jour, ainsi vous aurez quelques roues de secours.

Mention spéciale au manuel d'utilisation... Ou plutôt, aux manuels. Celui dans la boîte format DVD est un quickstart minimaliste qui n'explique que les menus alors que le bô livre grand format est présenté comme un guide pour les soldats. On y lit des infos sur le fonctionnement basique du mécanisme d'équilibrage des Mechs, sur les armes ou sur le fait qu'il est prohibé d'emporter ce guide avec soi dans le cockpit parce que c'est une information classifiée. D'ailleurs, malgré les 40 boutons de la manette, il est impossible de mettre la pause... Immersion, vous avez dit immersion :) ?

Graphisme: le point noir du jeu. La portée de la vision est ridicule, avec un brouillard presque aussi proche que celui de Turok; la fonction de zoom est complètement inutile et le fusil de sniper n'est qu'une parodie d'arme longue portée. Les arbres sont du bitmap (du beau bitmap, okay, mais de la 2D quand même), les textures oscillent entre le superbe et le tout juste moyen... Franchement, c'est insultant pour une Xbox. Seuls les effets de métal ou de lumière sont réussis, mais pour résumer: Steel Battalion pourrait très bien tourner sur une PSX2. En fait, certaines limitations du moteur graphique me font penser que le jeu a été développé pour la console de Sony avant d'être porté chez MS pour une histoire de gros sous et d'exclusivité (ou bien parce que la manette ne pouvait pas être alimentée ou gérée par la concurrence... On ne saura sûrement jamais). Ca reste regardable, mais on a la sale impression que la GeForce 3 modifiée qui est à l'intérieur de la console est en train de se rouler une cigarette en discutant avec le port Ethernet.
Ah oui, ça gère le format 16/9e, et quand on voit la pléthore d'informations, c'est pas un luxe. D'ailleurs, contrairement à ce qu'on pourrait croire, ça ne gène pas du tout le gameplay et ça contribue encore plus au facteur d'immersion.

Son: du tout bon. Du Dolby Digital qui vous fait une déformation du son selon le milieu acoustique, la tôle froissée quand on abîme son robot contre un mur, les explosions, le rotor de l'hélicoptère de ravitaillement qui arrive lentement et qu'on attend pour nous sauver... Il est possible d'acheter un radiocassette avant de partir sur le terrain, et l'on doit choisir UNE musique: le son délivré est - volontairement - celui d'une vieille cassette magnétique des familles et c'est assez amusant.

Maniabilité: Difficile de faire mieux quand on a créé une manette exprès pour le jeu... Je tiens juste à faire remarquer que le contrôlleur a des limitations à cause de cela: le stick gauche n'a qu'un axe (de gauche à droite), par exemple. Ainsi, la probabilité qu'il soit recyclé dans autre chose que des suites de Steel Battalion (par exemple, une simu de tanks classiques, un jeu de course ou d'avions...) est vraiment faible. Alors ne vous faites pas d'illusion: c'est bien 200€ le jeu, et Mario et ses pizzas au caviar pourront attendre.
Un truc qui n'est pas directement lié à la maniabilité, mais qui mérite d'être dit: l'intelligence artificielle est déplorable. Et quand vous avez deux coéquipiers qui tournent en rond devant vous et bloquent le chemin ou qu'ils vous collent aux fesses au point de ne pas pouvoir faire de marche arrière, c'est notable. On remarque aussi que les bateaux qui vous tirent dessus tournent en rond quand ils passent devant vous... Ne me dites pas que c'est la même routine de programmation pour tous les PNJs ou je fais un malheur.

Durée de vie: La boîte annonce une dizaine de missions: tout faux, il y en a le double! A l'exception de la stratégie, les jeux vidéo solo n'ont généralement qu'une seule campagne: dans Return to Castle Wolfenstein, Hitman ou Golden Sun, on ne nous demande jamais de jouer “le camp en face”: on réserve cela à Command & Conquer ou Warcraft, et quand l'histoire est terminée, vous avez bouclé le jeu. Alors quand Steel Battalion débloque une deuxième campagne après avoir terminé Hai Shi Dao, j'applaudis à deux mains. Et comme je l'ai dit, le jeu ne se laisse pas maîtriser facilement: on apprend sans arrêt de nouvelles choses, chaque Mech est vraiment différent dans son pilotage, les missions - variées et pas répétitives pour un sou - peuvent être gagnées avec plusieurs tactiques et demandent souvent un esprit de stratège (surtout que la topographie des cartes a été pensée dans ce sens)... Au fait, quand vous montez en grade, vous serez amené à donner des ordres à vos coéquipiers (Sakura Taisen powa!). On voulait se sentir dans la peau d'un Major Katsuragi développant des idées saugrenues pour battre l'ennemi ou savoir ce que ça fait de hurler des noms débiles en sortant un lance-roquettes: on est servi.

Steel Battalion a pourtant une vraie identité (contrairement à *tousse* Super Robot Taisen *tousse*): il a des influences sans tout pomper, des clins d'oeil sans tomber dans la caricature. On reconnaît ici un Mech de Full Metal Panic, là un vieux modèle de Gundam... Dans l'ensemble, le ton du jeu me rappelle le méconnu Metal Head, d'autant que les deux jeux se ressemblent assez; ils sont d'ailleurs tous deux traduits en engrish (rien de bien grave, mais une relecture n'aurait pas été un luxe). Le côté stratégique des cartes et la préparation avant la mission sont très réminiscents de Faselei, dont le cas a déjà été étudié dans cette colonne.



Discussion vécue avec la vendeuse:
Elle (première chose dite en voyant la boîte): Vous savez, je n'aurai jamais de sac assez grand!
Moi: C'est pas grave.
Elle (voyant le prix): Mais c'est quoi ça?
Moi: Un jeu vidéo.
Elle: Vous êtes un passionné!
Moi: Vous ne pouvez pas savoir combien de gens me disent ça.
Elle (tournant la boîte): Bon, je vais tenter de vous le démagnétiser...
Moi: Si vous y tenez, mais je risque pas de m'enfuir avec.
Elle: Euh, si vous avez envie de faire un tour, vous voulez que je le garde sous le comptoir en attendant?
Moi: Pas besoin, j'ai plus d'argent.



Au final? Je ne le dirai jamais assez: si vous n'êtes pas accro à la mecha-japanime et aux jeux vidéo, vous avez de meilleurs usages pour ces 200€. Et attention hein: 200€ au bas mot, puisque les enchères sur Eslay ou en occase ne tapent pas sous les 300€ (frais de mort faramineux non inclus).
Si vous êtes de ce bord, c'est bien le meilleur jeu de Mechs qu'il m'ait été donné de jouer: les MechWarrior/MechAssault ou les Virtual On peuvent aller se coucher, on a trouvé plus réaliste et plus long qu'eux. Son principal défaut étant de ne pas être graphiquement à la norme des jeux “Xbox Only”, mais cela n'entame pas une immersion incroyable. C'est bien simple, le compteur indique que j'ai passé 15 heures après le premier jour d'achat, et j'ai rarement investi aussi rapidement autant de temps dans un jeu (le dernier en date étant Shenmue, c'est vous dire).
Long et d'une difficulté pimentée à souhait, d'un plaisir de jeu réservé à des hardcore gamers qui seront les seuls à l'apprécier, d'une rareté de collectionneur et d'un look extérieur (boîte, manette et séquence d'initialisation des Mechs) qui feront baver les invités, Steel Battalion est le gros champignon délicieux caché au fond de la forêt qui ne se laissera trouver que par le passionné, le doujinshi hentai de 200 pages tombé derrière l'étagère du libraire et oublié de tous, l'Unsterbliche Liebe que Yomiko Readman cherche dans RoD. Non, je suis pas positivement influencé par le fait d'avoir payé aussi cher pour lui: je l'ai acheté l'esprit libre, me disant que je pourrais faire une jolie plus-value en le revendant si c'était une bouse.

Cherchez dans les magasins Fnac, ils en avaient commandé trop et ils n'arrivent pas à écouler leur stock national (situation plutôt comique quand le reste du monde est en rupture).