Personne ne fait confiance aux critiques de jeux sur Micromania.fr. "Critique" au sens large, vu que seuls les journalistes totaux écrivent ainsi - les autres parlent de "test" - en considérant qu'on ne teste pas un livre ou un film. Personne ne fait confiance à Micromania.fr pour l'impartialité de leur critique, puisque chacun sait que Micromania nous vend ces mêmes jeux. Si un client hésite à acheter un produit et tombe sur leur test négatif, il garde son argent... pas très commercial. Même chose, mais à l'envers : jeuxvideo.fr, site de news et de critiques/tests, vous propose de lancer votre propre boutique franchisée jeuxvideo.fr. Là encore, quel intérêt jeuxvideo.fr aurait à descendre un jeu qu'une boutique jeuxvideo.fr est susceptible de nous vendre ? Depuis, le site a été revendu à M6, mais les boutiques profitent toujours de cette ambiguïté... Et jeuxvideo.com, dans les poches d'Ubi Soft et d'une agence de communication ?

 

Crise de confiance

Janvier 2011 : et là, c'est le drame : Julien Chièze, co-fondateur de Gameblog.fr, a annoncé en janvier dernier qu'il lance sa propre agence de com', précisément spécialisée dans le jeu vidéo, tout en continuant à gérer le site. L'annonce n'étant pas assez ubuesque en soi, M. Chièze en profitait pour lancer un concours auprès de ses lecteurs pour qu'ils lui conçoivent le logo de sa boite - une requête si surprenante qu'elle a fait rire jusqu'aux journalistes du Monde. Serais-je un oiseau de mauvaise augure, un méchant raton-laveur aigri qui prévoit le pire alors que ladite agence n'existe pas encore ? Voici quelques faits d'armes :

  • Paris Games Week (à peine deux mois avant l'annonce de la création de l'agence de com'), stand Square-Enix : j'assiste à une présentation de Deus Ex Human Revolution. Avant de voir le jeu, Julien Chièze arrive et se présente en citant Gameblog. Il joue rapidement le rôle du Monsieur Loyal, nous demandant de ne pas prendre de photos ou de filmer. Il s'éclipse, la présentation commence. Nous voyons une vidéo de gameplay datant de l'E3, avec une barre de défilement Windows Media Player qui apparaît un court instant par inadvertance. De l'aveu de Julien Chièze, la démo est instable et plante lors de plusieurs sessions. A la fin , le même revient comme une fleur et nous félicite pour avoir assisté à une avant-première exceptionnelle. Il m'a confirmé avoir touché une rémunération pour cette prestation.
  • Heavy Rain : le traitement de ce jeu par Gameblog a fait couler beaucoup d'encre : des publicités directement sur le site, suivies du blog officiel de David Cage, réalisateur du jeu, qui postera le même publi-rédactionnel en anglais sur IGN. Blog loin d'être au-dessus de tout soupçon, vu que les photos de la soirée de lancement du jeu seront purement et simplement volées sur JeuxActu (et même découpées pour virer le logo !) ; après s'être fait choper, ils ont timidement ajouté un copyright, mais les clichés incriminés restent en ligne. Et de la part d'un blog officiel, ne pas avoir des photos sa propre soirée pour son propre jeu, n'est-ce pas ridicule ? Revenons à Gameblog et à son traitement du jeu : la critique postée après ce battage médiatique couronne le jeu et lui met la note maximale de 5/5.
  • Heavy Rain, corollaire : Lors d'un podcast de Gameblog (merci à Reguen pour l'avoir retrouvé), la rédaction répond à ces suspicions en arguant que "la publicité est séparée du rédactionnel" (36ème minute). Pendant ce temps, Gamekult avait mal noté le jeu et Sony avait réagi en mettant le site sur liste noire. Interrogé sur ce sujet, Julien Chièze "comprend" le comportement de Sony. Donc, la gestion de la publicité liée au rédactionnel, c'est normal... mais un peu contradictoire avec ce qui a été affirmé dans le podcast ! Dans cette même interview, il critique Gamekult rendant public le comportement de Sony, jugeant que ces pressions tiennent de la "sphère privée". Et dans la même réponse, il déplore un manque de solidarité entre les sites français !
  • Le groupe Ankama, qui développe des jeux, édite des livres, produit des dessins animés, a investi dans Nolife et Gameblog. A l'heure actuelle, quand vous passez dans les locaux de Nolife (mais ils vont bientôt déménager), vous avez l'équipe de Gameblog qui officie à l'étage du dessus, et les rédacteurs travaillent communément sur le rédactionnel d'IG Magazine. Donc, quand Nolife a lancé l'an dernier une offre d'abonnement afin de "soutenir la chaîne", Gameblog a pu observer de près... Depuis quelques mois, Gameblog propose une offre Premium, afin de "soutenir le site". Entre autres avantages, la publicité disparaît du site. Dans le cas d'un traitement publicitaire comme Heavy Rain, que verrait le visiteur Premium ? En lisant un site épuré de toute publicité pour le jeu et une critique abordant une note maximale, l'utilisateur payant serait-il vraiment gagnant ? Car hélas, le conflit est possible et présent sur Gameblog : les pubs sur le site sont majoritairement tournées vers le jeu vidéo, semblant oublier que le public du site a également besoin d'autres loisirs, de s'habiller ou de manger ; à l'inverse, Nolife passe des pubs pour des pantalons ou des auberges japonaises...  Ce dilemme est impossible à résoudre, et cela a bien été démontré aux USA par GameSpot qui, après avoir viré un rédacteur en chef qui avait descendu Kane & Lynch alors que le site était couvert de ses pubs, a perdu bien des abonnés qui pensaient payer pour une impartialité fort illusoire. Est-ce vraiment correct d'empocher l'argent des publicitaires d'une main pour faire de la promo auprès des visiteurs, tout en promettant une critique impartiale et à l'abri des publicitaires avec l'argent des visiteurs dans l'autre main ?

A la lumière de ce comportement passé, on voit bien que Gameblog tient trop souvent du publi-rédactionnel. Ironie de l'histoire : au siècle dernier, les magazines papier Joystick et Joypad étaient édités par Hachette. Quand ils furent revendus aux éditions Future (depuis devenues Yellow Media), les membres des rédactions étaient partis pour créer Canard PC, Gaming (attention, lien vers un article que j'ai écrit en 2004) puis Gameblog. Précisément pour ne pas être réduits à écrire des pubs... et c'est ce que Gameblog est en train de devenir.

 

Chasse à l'audimat

Sur Direct8, chaîne de télé du groupe Bolloré (l'émission télé Gameblog passe sur DirectStar), il y a Jean-Marc Morandini. Le présentateur de la trash TV des années 90, celui qui s'est recyclé en pseudo-analyste du PAF, celui qui court après le buzz permanent, et dont les plagiats, dérapages et autres mensonges lui valent une rubrique dédiée chez @rrêt sur Images. Le buzz, ça passe aussi par des éléments de langage, faut que ça clique et qu'on sorte le pop-corn.

Prenons une information anodine et voyons son traitement. 5 décembre 2008 : OriginalSoundVersion.com note une ressemblance entre le thème de Robo dans Chrono Trigger et le célèbre "Never Gonna Give You Up" de Rick Astley, et arrive à contacter le compositeur pour lui demander si c'est volontaire (réponse : non). Le même jour, l'info est reprise par Kotaku, qui cite la source et ne fait pas de sensationnalisme. Elle arrive en France le 9 décembre via Génération-NT, citation de source, pas de pop-corn. Et le 18 décembre - une éternité plus tard pour un site de news - Gameblog, sous la plume de Julien Chièze, sort "Chrono Trigger, le plagiat qui fait mal". Morceaux choisis : "A vous de vous forger votre propre opinion. Mais autant vous dire que j'ai perso une petite idée. Oui, ça ne peut être que de la magie pure tellement ça tombe parfaitement en rythme ! [...] La vidéo ayant été supprimée (!!!) voici une nouvelle adresse non exportable où vous pourrez découvrir cet incroyable plagiat." Et le pire : aucune source n'est citée. Dans une interview, Julien Chièze déplore l'état d'esprit français où personne ne cite les sources ou exclus des autres sites, là où les anglo-saxons observent un cercle vertueux... "Faites ce que je dis, pas ce que je fais" ?

Car le buzz, les articles racoleurs, ça clique, et le clic, ça rapporte. Quand vous visitez un site web, vous entrez dans les statistiques du "visiteur unique" et des "pages vues": combien de personnes viennent sur le site, et combien de pages vous matez. Ce qui correspond à combien de personnes verront les publicités, et combien chaque personne verra de pub, chaque nouvelle page contenant son lot de bannières. C'est d'ailleurs pour ça que le moindre article qui fait plus de trois paragraphes est séparé en plusieurs pages... Les annonceurs, les éditeurs de jeux et autres décideurs, ces deux indicateurs, ils en mangent au petit-déjeuner. Souvenez-vous des boutiques jeuxvideo.fr en début d'article : le nombre de visiteurs sur le site est le premier argument utilisé pour vous convaincre d'investir dans la franchise. Or, quand vous voyez un lien qui ressemble à "gameblog.fr/blogs/redac/p_24259_la-ngp-est-arrivee-a-la-redaction-les-photos", forcément, vous cliquez... et vous vous faites troller avec un Julien Chièze qui tient un carton imprimé. Pour expliquer le troll, une explication foireuse du "nous voulions nous rendre compte par nous même la place qu'elle prenait." Ou une news (signée Julien Chièze) intitulée "Bioshock 2, des putains de sodomites partout" avec pour sous-titre "Les développeurs sont-ils allés trop loin ?" ; que dire des journalistes qui écrivent ainsi... Mais vous avez cliqué, vous avez vu les publicités - et même si vous utilisez AdBlock, vous êtes entrés dans les statistiques qu'ils présenteront pour leur prochaine campagne de publicité. Est-ce que le site vous a menti ? Oui.

Sans parler des articles objectivement mauvais : catalogué comme "Dossier", taggé "Réflexion" et "Humour" (on vient de le voir, le tag "humour" autorise beaucoup de choses), un article sur les rayons de jeux vidéo dans les supermarchés, bourré de lieux communs, de stéréotypes et d'affirmations mensongères. Et j'en sais quelque chose, puisqu'il cite un magasin que je connais... C'est d'autant plus dommage qu'il y a de vraies choses à dire sur les lieux de vente non spécialisés !

Gameblog peut se draper dans l'argument de l'humour, reste que sa réputation - déjà entachée par la crise de confiance expliquée plus haut - n'en sort pas grandie. Mais c'est assumé : Julien Chièze admet lui-même, que ces news que les lecteurs "qualifient de racolages, [...] en taux de clics, [...] en visibilité, [...] elles cartonnent. Systématiquement." Mais dans ce cas, il reste possible de voir que le mensonge est volontaire, car ce n'est pas toujours le cas ; quand Gameblog a annoncé une Wii Hi-Fi présentée à l'E3 2010 (article signé Julien Chièze) puis ne s'est jamais excusé pour cet énorme intox (repris par les sites américains), était-ce un bidonnage volontaire pour gonfler ses statistiques, ou était-ce l'authentique erreur d'une source ("informations en provenance de développeurs") ? Comment le savoir ? Du Morandini en version jeu vidéo, du Kotaku en français, purement et simplement, du mauvais journalisme ; c'est ce que Gameblog est en train de devenir.

 

Star System

Vous devez le voir à la quantité de sources citées : en écrivant cet article, j'ai quand même fait mes devoirs. En cherchant ces news bidon, ces conflits d'intérêt et autres interviews contradictoires, le pseudo JulienC revient sans cesse. Je n'attaque pas sa personne ; il accepte d'ailleurs de se mettre en avant, pourvu qu'il puisse "véhiculer une bonne image du jeu vidéo et faire parler de Gameblog". Le site était fondé sur cette promesse de grandes signatures de l'époque Joypad ou Player One ; forcément que le Star System est fourni en série. Là où ça devient douteux, c'est quand ça donne droit à de longues vidéos autofellatrices où l'on parle d'un jeu sorti depuis des mois dans le reste du monde tout en jouant très mal, des articles de blogs où l'on veut mobiliser ses lecteurs pour attaquer ses détracteurs avec des phrases aussi hallucinantes que "lorsque vous tombez [...] sur ce genre de personnages, [...] pourrissez-les [...]avec, je le répète, le respect des idées de chacun", et des lettres ouvertes pour se poser en parangon de vertu. 

Le blog de Cyril "Crevette" Drevet fut mon moment personnel où j'ai réalisé que le Père Noël n'existe pas. Cette signature vénérée qui critiquait des jeux vidéo alors que j'apprenais mes tables de multiplication, et qui vingt ans plus tard, sans éditeur ou secrétaire de rédaction, écrit avec plus de fautes de français qu'un participant de télé-réalité et trolle comme un fan de Star Trek.

Ces lettres ouvertes, signées "Julien Chièze & la rédaction de Gameblog.fr", elles sont pile poil dans le crédo cité plus haut. En tant que lettres ouvertes, elles sont largement reproduites ailleurs et font donc "parler de Gameblog", surtout quand elles sont adressées à Michel Denisot et finissent par "A votre disposition si vous souhaitez prolonger le débat" ou à Nadine Morano avec "Nous nous tiendrons bien évidemment à votre disposition si vous souhaitez prolonger le débat". On peut aussi copier-coller les lettres ouvertes des copains qui appellent à... "un Grenelle « santé et jeu vidéo »". Quant à "véhiculer une bonne image du jeu vidéo", c'est facile, il suffit de s'indigner. Mais comment reprocher au gouvernement de faire un amalgame entre jeu vidéo et pornographie alors que le blog officiel d'un membre de l'équipe est bourré de nanas à poil, sans le moindre avertissement ou filtrage ? Comment prétendre que "le jeu vidéo est en train de passer à l'âge adulte" tout en faisant de l'humour puéril sur les seins de Lara Croft que l'on peut déchiqueter pour en faire une chaise douillette ? Que donne ce mélange des genres auprès des gens ciblés par ces lettres ? Est-ce que Gameblog et le jeu vidéo en sortent vraiment grandis ? De la pipolisation et de la tartufferie à la petite semaine pour faire parler de lui, c'est ce que Gameblog est en train de devenir.

 

C'est ce que Gameblog est en train de devenir

Julien Chièze n'a jamais caché que pour faire tourner un site pareil, il y a des impératifs financiers à respecter. Ankama a investi des sous et aimerait bien en revoir la couleur. Or, avec l'argent que l'on va chercher chez des intérêts contradictoires (des publicitaires qui veulent une presse aux ordres et des lecteurs qui veulent de l'indépendance), ça n'aide pas à la crédibilité - voir la première partie de cet article. Crédibilité d'autant plus entachée quand on raconte de grosses bêtises pour faire de l'audience - seconde partie. Et ni l'un ni l'autre ne s'améliorent quand on tape dans un culte douteux de la personnalité - troisième partie... A un moment de son existence, on dirait que Gameblog est tombé sur Kotaku et y a vu son modèle spirituel ; la chasse au buzz et à la rumeur, une écriture douteuse et démago, la soumission face aux éditeurs et aux annonceurs, et un zeste de cul. En arriver là pour garder la tête hors de l'eau, vraiment ? Avoir quitté les éditions Yellow Media, trop lisses et corporatistes, pour glisser vers un mauvais tabloïd ?

Je n'écris pas un article en appelant au boycott de Gameblog ou en arguant qu'il n'y a plus rien à sauver. Mais l'annonce en début d'année d'attacher une agence de com' à un site d'information est tellement significative de l'état actuel du navire qu'il me fallait pondre ce texte. De même, je n'ai pas arrêté de réécrire mes tournures de phrase pour ne pas être pris pour un méchant aigri comme je le mets au début... Il n'est jamais trop tard pour un peu de transparence ou de rigueur journalistique, surtout quand on est un des plus gros sites français en la matière.

 

Pendant ce temps : Ecoutez Radio Tsumugi. Je suis venu pour les aider à atteindre leur quota d'audimat, je reste pour la qualité de la playlist. Et Keul a ajouté un widget Twitter dans la barre de menu, pour ceux qui ne lisent pas encore le site via RSS - hey, il faut encore passer ici pour mettre des commentaires !

 

 Mise à jour du 3 Mars 2011 : J'ai été contacté par Gameblog qui souhaitait corriger plusieurs éléments dans l'article. Le texte a été modifié, et voici la liste des changements :

  • La démo de Deus Ex Human Revolution n'était en vidéo que pour l'intro, le reste étant en temps réel. Julien Chièze m'a affirmé que Square-Enix n'a donc pas truqué la présentation ; le code utilisé était très instable et causait de nombreux plantages. Ce passage contenait également une interrogation ouverte, demandant s'il avait mis sa réputation en avant "par altruisme ou par intérêt mercantile" ; comme il m'a également affirmé avoir été rémunéré pour cette présentation, cette question est remplacée par une affirmation.
  • Le blog "bourré de nanas à poil" n'est pas celui d'un rédacteur, mais d'un membre de l'équipe (le webmaster) qui rédige parfois quelques critiques sur Gameblog (par exemple, celle de Dragon Age : Origins).
  • Julien Chièze n'est pas le "boss" de Gameblog, mais le co-fondateur.
  • Les lettres ouvertes ne sont pas "toujours" signées "Julien Chièze & la rédaction de Gameblog.fr".

Je présente bien évidemment mes excuses aux parties intéressées pour ces erreurs factuelles.

Une autre modification a été apportée à un élément de langage, concernant le concours lancé auprès des lecteurs pour concevoir un logo, une requête que je qualifiais de "burnée" ; ce mot qui a choqué Julien Chièze a été remplacé par "surprenante". De plus, il rappelle que le gagnant a été rémunéré. Enfin, il souhaite apporter une réponse au commentaire n°55 de Chonko, concernant l'iPad qui lui a été offert par un lecteur : il s'agit vraiment d'un cadeau très généreux fait par un lecteur très discret, et non celui d'Apple ou d'un intérêt privé. J'ai aussi tenu compte du commentaire n°48 de Mapple pour certaines citations sorties de leur contexte.

La conversation avec Julien Chièze a ensuite tourné sur mes inquiétudes personnelles envers le site, aussi bien sur la tonalité que sur les mélanges de genres. Pour tout ceci, un droit de réponse m'a été promis de la part de la rédaction de Gameblog, que je publierai bien évidemment.

Mise à jour du 3 Mars 2011 à 20h30 : Droit de réponse publié. Il sera également présent demain sur Gameblog.fr.

Mise à jour du 4 Mars 2011 : On parle de cet article et des réactions sur la quotidienne de Gameradio.fr (42ème minute).