Parmi les grandes différences de narration entre la japanime et les scénarios occidentaux, le rapport avec les méchants est particulièrement significatif. Rastapopoulos est une enflure, les Décepticons sont méchants "parce que". Mais au Japon, ce manichéisme disparaît souvent : dans Princesse Mononoké, Eboshi est-elle mauvaise pour tenter de sauver des anciennes prostituées du shogun local en vendant quelques arquebuses, quitte à raser la forêt ? Il y a une autre différence importante dans ce rapport : la puissance des méchants. Chez les ricains, les vilains sont largement inoffensifs, ridicules, et le héros s'en sort à peine griffé. En Europe, le méchant est accompagné de légendes attestant de ses pouvoirs, mais il s'avère pas bien offensif quand il est à l'écran. Par contre, au Japon, faut avancer la tête baissée. Les méchants peuvent faire vraiment mal et le héros en bave. Regardez ce passage de la fin de Mazinger Z, (série aussi culte au Japon que son futur spin-off, Grendizer / Goldorak l'est en France) ; le héros de millions de 'tits n'enfants se fait ratiboiser la gueule en diagonale et le pilote, Koji Kabuto (futur Alcor, le pote à Actarus dans Goldo), est amoché à en pisser le sang. Imaginez le traumatisme sur les gamins.

Et quand le héros finit par se relever, terrasser l'ennemi et sauver la paix et l'humanité, ça vous forge toute une génération d'otakus pur sucre. Goldorak a eu le même effet ici : pourquoi croyez-vous que le mystère de l'Autolargue fut levé par les frenchies ? Que Wikipédia, pour ce que ça vaut, affirme que c'est le seul programme à avoir atteint les 100 % d'audimat en France ? Que Déclic Images / Manga Distribution aient eu les cojones d'en sortir des versions pirates, quittes à être condamnés à la ruine ? Que les Fatal Picards en aient fait une de leurs chansons les plus connues ? Goldorak est un des grands héros de la pop culture française et avec Albator, le pilier de la japanime en France. Je pèse mes mots.

Alors, imaginez quand l'otaque français lit, bien des années plus tard, le manga importé chez Dybex (et oui, ils ont - mal - édité quelques mangasses). Il n'y a que quatre volumes, et je vais vous spoiler la gueule sur la fin : Goldorak perd. Il a beau vaincre les méchants robots de Véga, les humains se lancent dans un holocauste nucléaire, tout le monde meurt, fin. Bis repetita : imaginez le traumatisme sur les gamins. En fait, non, pas besoin d'imaginer, puisque je fais partie de ces traumatisés. Ouais, le résultat n'est pas joli-joli.



Pas étonnant que tout le monde ait oublié ce manga pour en rester à l'anime, largement supérieur et qui finit bien, lui. Regardez cette jaquette : quel que soit l'âge, il y a de quoi devenir loco. Un énorme Goldorak qui écrase un Golgoth avec son poing ! Un autre Goldorak qui vole ! Un Actarus ! Alcor ! Tous les méchants ! Le staff nippon respecté ! Un résumé pas con ! Une maison d'édition basée rue Montgallet ! Je crois que je saigne du nez. C'est le premier anime que j'ai vu, non ? Il y a quelques temps, je vous avais parlé de mon premier jeu vidéo. Là, c'est ma première cassette vidéo - enfin, avant ça, j'avais des épisodes de Tex Avery enregistrés à la main par papa raton pendant que j'étais dans le bide de maman raton. A l'heure où d'autres mataient du Disney, j'ai grandi avec Droopy, le Loup, Bugs Bunny et les sous-entendus racistes des toons de l'époque. Ces VHS sont toujours là et n'ont pas remplacé le très censuré coffret DVD (seule édition DVD des Tex Avery au monde, exclusive à la France et uniquement trouvable à prix d'or), ignoré sur mon étagère. Un jour, maman raton revient du supermarché avec la cassette en photo. Elle commence à lire le titre : "Gol... Do..." et je reste comme un con, parce que j'ai trois ans, je sais pas lire et je suis lent à la détente.

Elle contient les épisodes 62 et 64, "Les Cygnes" et "Cinq Minutes Pour Mourir". Dans le premier, de gentils zozieaux sont transformés en bombes radioactives sur pattes, et dans le second, un Golgoth attaque la ville avec l'intention de faire exploser une bombe au "lasernium", qui a tout ce qu'il y a de plus nucléaire... Actarus et ses potes se battent comme des lions (et là encore, sont méchamment blessés au combat), mais au final, Goldorak ne peut désamorcer l'ogive, et risque sa peau métallique pour la faire sauter le plus loin possible - non sans avoir lâché un monologue sur le sacrifice pour l'humanité alors que les secondes avant l'explosion s'égrènent. Avec autant de références aux dangers de l'atome, pas étonnant que je n'ose même pas jouer à S.T.A.L.K.E.R. ! Même pas besoin de remater la vidéo, je vous raconte tout ça de mémoire, puisque cette cassette vidéo est un de mes petits trésors. Forcément, car c'est ma première VHS.