Aujourd'hui, nous allons parler de boutiques de jeux vidéo.

Fût un temps où je vivais en Amérique du Nord, où les magasins de jeux vidéo n'étaient pas si diversifiés qu'on pourrait le croire. L'entonnoir a continué à se resserrer, et les franchises se sont évidemment bouffées entre elles. Et comme toujours, moins de concurrence, c'est plus de raisons de garder les doigts là où le soleil ne brille pas : prix fantaisistes, moins de services, vendeurs potiches… Parfois, quand une chaine en mange une autre, elle décide de lui laisser son nom au lieu de standardiser tout le monde sous la même enseigne – les gens ont une impression de concurrence. Exemple typique, GameStop dévore EBGames, mais ces derniers existent toujours. Certes, ils ont le même argus et les mêmes méthodes, mais qui verra la différence, mmhh ?

Pour comprendre la suite, il vaut mieux avoir lu les deux articles qui racontent la vie d'un vendeur de jeux vidéo.

Quand une boutique vend un jeu neuf, elle touche des cacahouètes — moins de 5€. Alors chez GameStop, ils ont appliqué une stratégie simple : vendre le moins de jeux neufs possible. Solution : forcer les clients à faire des préventes. Avantages ? Primo : on encaisse immédiatement quelques dollars, qui iront fructifier sur un compte en banque jusqu'à la sortie du jeu — yay pour Duke Nukem Forever. Secundo, comme le client a mis ses sous dans notre tirelire, on sait qu'il n'ira pas voir ailleurs. Tertio, et c'est le plus important quand on achète en volume, on peut commander le nombre exact de préventes sans craindre les disgracieux invendus sur les étagères.

C'est là que certains se demandent pourquoi je me casse les noisettes à vous parler de pratiques commerciales qui ont lieu de l'autre coté de l'Atlantique.

Comment forcer les gens à faire des réservations ? Simple. Si le client se pointe comme une fleur en s'attendant à trouver son bonheur sous blister, on l'envoie promener pour lui donner une leçon, même si le produit est en stock. On perd certes une vente, mais le presque-client aura retenu la leçon pour tous ses prochains achats. Et si un jeu n'a pas assez de préventes, il n'est tout simplement pas vendu dans le réseau de boutiques. Les préventes sont aussi encouragées en France, par exemple chez Game où l'on vous promet le dernier jeu à la mode pour 20€ - pourvu que vous vous rameniez avec une pelletée de disques à revendre. Ils seront rachetés en bons d'achat, parfois à un meilleur argus que si vous aviez demandé des euros. Votre prévente est placée, et vous contribuez à remplir le vrai trésor de guerre du magasin : le rayon des occasions.

Même en France, vous avez déjà remarqué que ces étagères sont mieux toujours mieux fournies que le neuf, non ? A l'heure où j'écris ces lignes, Smash Bros est repris chez les différentes enseignes pour 20€, revendu le double, et vendu à peine plus cher en neuf. La différence entre neuf et occase est parfois de moins de 5€, mais les reprises sont toujours au moins à moitié moins que le prix officiel. Ca, vous le savez déjà ; je le réécris juste ici pour que vous ayez bien conscience que 1) l'occase est la voie royale d'un boutiquier, 2) ledit boutiquier se fait des burnes en or massif. Et n'allez pas me dire que 5€ de différence représentent une économie substantielle justifiant d'avoir un CD rayé ou pas de manuel. N'oubliez pas que parfois, les Fnacs et autres hypermarchés font de gros destockages (plein de stocks sans réservations = plein de susceptibles invendus = bonnes affaires), et que plus généralement, les jeux vidéo se vendent dans suffisamment d'endroits différents pour que vous n'ayez pas à supporter les délires de certaines échoppes.

L'idée étant donc que vous achetez un jeu neuf avec vos "vieux" jeux, qui à son tour sera revendu pour des cacahouètes afin d'acheter un autre titre plus récent, et ainsi de suite. Afin de garantir que les nouvelles sorties vous donnent envie de poser une réservation, il faut faire mouiller les joueurs, il faut de la hype et des démos qui durent trois minutes montre en main - essayez celle de Quantum of Solace si vous ne me croyez pas. Pour ça, chacun sa solution : Micromania fait des critiques sur son propre site, et évidemment, pas une note sous la moyenne. Vous imaginez un magasin vous déconseillant d'acheter un jeu, vous ? GameStop a carrément acheté une feuille de chou, Game Informer, et propose à ses clients de s'y abonner. Vous imaginez l'indépendance du papelard, vous ? C'est un peu comme si Ubi Soft achetait jeuxvideo.com et que vous en attendiez toujours des critiques objectives, et, euh... non, rien, Hi-Media (une régie de pub, pour quels éditeurs de jeux ?) a racheté le site.

Voilà, l'image gag est postée, on peut maintenant boucler ça et expliquer pourquoi je vous ai fait chier avec GameStop. Ils viennent d'acheter Micromania, vous savez, la chaine de magasins franco-française qui était leader du marché. Vous allez me répondre deux trucs possibles :
  • mais raton, Micromania je les hais déjà et mon magasin local est tenu par des chimpanzés de laboratoire. Eh bien, vous avez lu toutes les aberrations en haut, genre forcer les réservations en notant les responsables régionaux, les directeurs de magasins et les vendeurs sur le nombre de réservations, tout en limitant les exemplaires sans préventes ? Ca va venir, et ça va donner des idées aux autres chaines.
  • mais raton, mon Micromania est tenu par des gens adorables. Je vous comprends, c'est mon cas. Vécu : ScoreGames bouffé par Game. Quand c'est arrivé près de chez moi/vous, les vendeurs compétents ont fui pour créer leur propre boutique, souvent franchisée sous un autre réseau genre Ultima. Le Game est maintenant tenu par un argus prohibitif, les vendeurs sont des raclures de lavabo et j'ai fini par le boycotter. Le problème, c'est qu'en visitant d'autres Game un peu partout en France, le résultat était le même. Pensez à prendre les mails des gens compétents, il y a des chances qu'ils aillent voir ailleurs en sentant venir le mauvais coup
C'est bien ça qui m'étonne dans cette histoire : les méfaits de GameStop sont largement connus en Amérique du Nord, et la nouvelle du rachat a été très peu médiatisée en France, et sous forme de copier/coller de la dépêche de presse qui plus est. Le journalisme vidéoludique dans sa plus belle forme, quoi ; le principal réseau français de boutiques de jeux va être prochainement transformé en un mauvais tas de boutiques d'occasion aux méthodes d'usurier, et tout le monde s'en fout. C'est à croire qu'ils nous encouragent à les abandonner pour tout acheter en téléchargement...