Vous aimez les périphériques débiles ? J'adore ça. Les maracas de Samba de Amigo, les tapis Dance Dance Revolution, les sticks arcade, les flingues, la manette créée pour NiGHTS ou Steel Battalion, utiliser une tablette graphique pour jouer, les bongos Donkey Konga... Pour les veinards qui ont connu le magazine Gaming, la petite bédé de Chaz et Fab' à leur sujet reste une perle. Des tas de ramasse-poussières en plastique, symboles de nouvelles façons de jouer si on est un gamer ou de gaspiller le fric de son patron si on est un ingénieur avec trop de temps libre.
Parce qu'à voir certains machins sortis de la cuisse de Microsoft, on est en droit de croire que leurs p'tits gars en ont, du temps libre et de l'argent en trop. De 1996 à 2000, MS s'était lancé dans le marché des périphériques de jeux, sans aucun doute pour se faire la main en prévision de la Xbox. Ainsi naquit la gamme Sidewinder, aux excellents volants, aux pads robustes et aux accessoires dont le concept semble aujourd'hui encore conçu lors d'une overdose de cigarettes qui font rigoler. Les manettes Sidewinder reçurent un très bon accueil, et Microsoft tira avantage de cette expérience pour sortir... le pad Xbox original, également connu sous le sobriquet de "côte de porc avariée" et sous la réputation d'un des pires machins ayant honoré nos mains huileuses depuis le pad Saturn occidental. Egalement en 2001, Microsoft sortit Windows XP, système d'exploitation incompatible avec la première génération (non-USB) Sidewinder, quand les drivers pour les versions USB acceptèrent de s'installer sans planter lamentablement. Ah, l'histoire des jeux vidéo est bien souvent d'une schizophrénie à faire frémir Norman Bates.

J'ai récemment mis la main sur deux des concepts tordus cités plus haut, qui laissèrent à l'époque les gens avec une moue dubitative. Non, sérieusement : je jouais à Descent avec mon Sidewinder 3D Pro, les copains apportaient leurs Sidewinder Gamepads pour jouer à 4 sur Overboard! (ou Shipwreckers, c'est selon : dans les deux cas, c'est aussi bon que du Bomberman en multi), et Microsoft sort coup sur coup le Sidewinder Freestyle Pro, le Sidewinder Dual Strike et le Sidewinder Strategic Commander. Le premier était une manette classique avec un gyroscope à l'intérieur, réagissant à l'inclinaison. Nintendo reprendra l'idée quelques années plus tard avec quelques cartouches GBC ou GBA, alors où était le mal ? Simple : on devait choisir entre la croix directionnelle ou le gyro : impossible d'utiliser les deux en même temps ! Le Dual Strike était une reprise du Namco NegCon pour la playstation, la manette qu'on tordait au milieu - mais avec un axe en plus. La chose était taillée pour les FPS, et on en reparlera ici un de ces quatre. Enfin, le Strategic Commander, sorti en même temps que le Sidewinder GameVoice (un système pour communiquer au casque-micro par canaux ; c'est bien joli, mais il fallait que tous vos potes l'aient aussi, et le haut débit décollait à peine en France !), va faire l'objet de cet article. Mais comme tous les machins cités avant, à l'époque, on était sagement revenus à nos accessoires éprouvés - surtout en voyant les prix délirants associés à ces prototypes.

Bien sûr,chacun de ces bidules est censé remplacer le clavier ! Après tout, tous les accessoires bizarres ont cette idée : bousculer les méthodes de jeu classiques, clavier / souris / croix directionnelle, sous prétexte qu'on peut jouer différemment en sortant de ce carcan - ou tout simplement parce que le clavier n'a jamais été conçu pour les jeux vidéo. C'est bien joli comme mentalité, mais les développeurs entrent dans ce moule, aussi peu approprié soit-il... La combinaison ZQSD en est le parfait exemple ! Avant elle, on jouait avec la main droite sur les flèches pour bouger et la gauche sur les CTRL, ALT et autres pour agir ; à l'arrivée de Quake, on passa à ZQSD pour bouger avec la main gauche, et la souris sur la main droite pour agir (même régime pour les gauchers). Les auteurs ont donc tiré avantage du périphérique le plus morne et le plus bureautique au monde pour en faire une planche de surf où tous les joueurs ont effacé les lettres sur le côté gauche à force de s'en servir : maintenant, nombreux sont ceux qui snobent les FPS sur consoles sur le seul prétexte que "c'est fait pour le clavier et la souris, point barre" (avis que je seconde, à l'exception des jeux en vision subjective spécifiquement taillés pour une manette précise, comme Halo ou Metroid Prime).
Sauf que dans les jeux de stratégie, le clavier sert à lancer des raccourcis clavier et à déplacer la vue sur la carte. A moins d'être un acharné, il sert donc en support à la souris, au lieu d'être partie intégrante de toute action comme c'est le cas dans les FPS. Or, le Strategic Commander, c'est exactement ça : c'est une machine à lancer des raccourcis clavier et à déplacer la vue sur la carte. Dit ainsi, on dirait un de ces gadgets-marketing créés pour répondre à un besoin qui n'existe pas... et c'est tout à fait cela. N'oubliez pas, on est là pour parler d'accessoires débiles. Ben oui : quand on n'ajoute rien au schmilblick et qu'on ne fait qu'imiter un concept déjà existant, le public crie rarement au génie - à part si ledit concept est torréfié et aboutit sous une forme proche de la perfection (par exemple, World of Warcraft n'invente rien dans le MMORPG : comme tous les autres jeux Blizzard, il ne fait que reprendre des recettes déjà existantes en les exécutant d'une main de maître).

A quoi ça ressemble ? C'est comme une grosse souris acnéïque avec 8 pustules sur le dos et 3 points noirs sur l'épaule. La souris s'est fait piéger et elle est coincée sur un socle avec un dernier déclencheur et une glissière à trois positions. La pauvre bestiole peut glisser et tourner sur la base à la manière d'un joystick ; c'est donc en la bougeant qu'on déplace la vue sur la carte, et en la faisant pivoter qu'on fait tourner la caméra dans les jeux de stratégie en 3D, remplaçant les touches fléchées du clavier.
Pour les boutons dorsaux : deux d'entre eux sont nommés "+" et "-", leur but étant de gérer le zoom. Les six autres sont numérotés et programmables, et, indicible joie du gadgétophile, sont dotés de diodes : ils s'illuminent lorsqu'une fonction leur est allouée. Les trois boutons sur la tranche sont autant de touches "Shift" indépendantes affectant uniquement les 6 touches suscitées (les fonctions des touches de zoom restent inchangées). Par exemple, touche 1 = appeler un groupe d'unités, touche 1 + Shift 1 = grouper des unités, touche 1 + Shift 2 = choisir une cible, touche 1 + Shift 3 = définir un point de ralliement. Autrement dit, on obtient 24 programmations possibles, plus les deux touches de zoom (que vous pouvez utiliser pour n'importe quoi d'autre si ça vous chante), plus le mouvement de la "souris" qui peut être déplacée ou pivotée.
Enfin, la glissière à trois positions sur le socle permet de passer d'un profil de programmation à un autre sans avoir à lancer l'utilitaire de l'engin entre chaque jeu... Voire, si vous êtes sérieusement atteint, le même jeu peut avoir plusieurs profils : un pour chaque race dans Starcraft, ou un pour chaque âge d'Age of Empires, par exemple. Du coup, on monte à 72 boutons programmables (plus les deux alloués au zoom et le socle, juste pour le rappel parce que ça devient compliqué tout ça). Et le dernier bouton sur le socle (intitulé "REC") permet de (re)programmer une touche à tout moment : on appuie sur Rec, on choisit le bouton avec un Shift s'il le faut, on tape l'action sur le clavier (combinaisons et touches multiples acceptées : oui, on peut acheter tout son équipement à Counter-Strike d'une pression sans rien scripter), on represse Rec pour terminer, finito.

Hors jeu, le Strategic Commander est contrôlé par un excellent soft. Remarque importantissime : si vous trouvez la bestiole sans son CD de driver, passez votre chemin. Microsoft avait bien chié dans la colle à l'époque : au lieu de faire un driver commun, ou au moins un CD commun à toute sa gamme Sidewinder, la plupart avaient leur propre disque. Donc à moins de récupérer une copie des fichiers sur Emule, impossible d'utiliser votre gadget - et évidemment, le support technique n'en a plus un seul à envoyer par courrier. Heureusement, ce gestionnaire marche parfaitement sous Windows XP.
En parlant de technique, deux petits détails notables. Primo, la plupart des joysticks avec touplein de boutons émulent aussi les pressions de touches sur le clavier afin d'être compatibles avec tous les jeux ; la plupart voient leurs configurations enregistrées dans une mémoire Flash interne, permettant de garder les profils même s'il est débranché. Ce n'est pas le cas du Strategic Commander, qui a besoin de son gestionnaire avec son programme en tâche de fond pour être utilisable. Conclusion : pas question de l'emporter chez les copains ou en salle de jeux en réseau pour les LANparties ou les concours ! Secundo, ledit programme est discret : pas d'icône dans la barre des tâches, un nom anodin (daemon14.exe) mais... une scandaleuse gourmandise en RAM : 18,5 Mo ! Sachant que son seul usage est de rappeler au périph' ses programmations et d'enregistrer l'activité clavier lorsqu'on appuie sur REC, c'est honteux - du Microsoft de l'époque pur sucre, diront les mauvaises langues.
Le gestionnaire est vraiment bien fait : clair, complet, avec un fichier d'aide très fourni. C'est typiquement le genre de soft si bien foutu qu'il laisse votre imagination gamberger pour essayer toutes sortes d'applications encores plus débiles que le périphérique lui-même. Lors de la création de profils, il ne faut pas oublier un petit détail ergonomique : les touches sont numérotées de gauche à droite : 1 et 4 sont pour l'annulaire, et 3 et 6 pour l'index. Ainsi, c'est paradoxalement à 3 et 6 qu'il faut allouer les fonctions les plus utilisées : une mentalité apparemment oubliée par Microsoft dans certains des profils fournis avec l'appareil ! Tout à l'heure, on parlait d'utilisations débiles ; la première idée d'application tordue, c'est de s'en servir pour les FPS ; les auteurs eux-mêmes y ont pensé après coup en diffusant des profils taillés pour quelques perles de l'époque. Ainsi donc, on glisse pour bouger, et on programme les Next Weapon et autres Use Inventory sur le mulot. Et ça donne quoi ? Ben déjà, les petits patins antidérapants sont assez inutiles (et ce quelle que soit la surface) pour nous faire regretter l'époque des ordinateurs 16-bits avec leurs joysticks idiots dotés de ventouses sous le socle. Game Watch a trouvé une solution simple et efficace : deux morceaux de ruban adhésif. Mais même dans ce cas, on revient au vieil adage "est-il plus facile de pousser ou de tirer ?", car déplacer ce machin au lieu d'appuyer sur une flèche pour se déplacer est quand même un peu trop lent pour les shoots épileptiques à la UT2004 ou Quake 3 Arena - dire que Microsoft a sorti un profil pour ce dernier, ils n'y ont pas joué des masses !. Un joueur portugais qui s'en servait uniquement pour les jeux de tir a déploré la fragilité du bouton 3 (RAS chez moi pour le moment) et fournit des instructions de réparation tout en photos (warning : geek porn).
Une autre idée d'utilisation bien conne, c'est pour la bureautique et les programmes de tous les jours : une config ACDSee ou XnView pour organiser sa collection de hentai avec une seule main, une config Firefox avec copier / coller / coller dans Google (sur la même touche avec l'utilisation des Shift), onglet suivant / précédent / nouvel onglet / fermer onglet, navigation dans la fenêtre en bougeant le socle, ou une touche Shift dans n'importe quelle config dédiée au contrôle de Winamp tirant avantage des Global Hotkeys...

Au final, est-ce que le Strategic Commander est intéressant ? On l'a dit et on le répète : non. Ceux qui sont accros aux raccourcis ont déjà découpé des pochoirs pour leurs claviers. Ils ont modifié dans les options les touches les plus utilisées, ou les développeurs ont déjà optimisé l'utilisation de ce dernier en réfléchissant à l'allocation de chaque raccourci. C'est rigolo de jouer avec lui (Dungeon Siege est un bonheur sur ce truc), ça fait bander ceux qui voient les accessoires de jeux vidéo comme une extension de leur corps (fans de cyberpunk, levez-vous), mais je doute encore de son prétendu avantage ergonomico-tactique. Le Strategic Commander reste fondamentalement un gadget élitiste en son temps (450 francs à la caisse), amusant en le nôtre (moins de 15 € si vous le trouvez dans un marché aux puces - n'oubliez pas le CD), vestige d'un temps où Microsoft faisait véritablement tout ce qu'il voulait sans risquer le ridicule. Maintenant, la boîte-à-Bill est obsédée par l'idée de pendre Ken Kutaragi par les couilles et d'être sony à la place de sony, terrorisée à l'idée de penser différent. Face à un Nintendo qui dévoile une manette si audacieuse que sa découverte m'a fait crier "what the fuck ?!" devant un écran que je suis censé utiliser pour bosser, le manque de cocaïne dans les bureaux de Microsoft semble plus qu'évident. Non pas que ce soit un mal - mais quand on est en panne d'idées, ça finit par se voir.