Pas besoin d'être anti-américain pour s'en rendre compte: quand quelque chose marche quelque part dans le monde, les ricains en font un remake maison. Exemple: la saga Ring. La version US passe en ce moment sur Canal+, et il ne s'agit que du film que l'on connait en plus cher: plus d'effets spéciaux, des prises de vue depuis hélicoptère à foison, et une Sadako/Samara qui devient le mouton noir du vilage parce qu'elle rend fous des chevaux qui l'empêchent de dormir (dans la version originale, c'était parce qu'elle prévoyait de mauvais évènements, comme l'éruption du volcan local, rien que ça!). Plus onéreux, mais pas plus effrayant.

Le hasard fait bien les choses: j'ai pu voir le long-métrage US direct-to-video de... Ken le Survivant! Et croyez-le ou non, c'est surprenant à bien des égards. N'empêche, ça reste un film de série Z avec un budget ridicule et des acteurs has been, donc forcément bien marrant à ses dépens.
Je commence par le plus important: l'acteur qui joue Ken. Il s'appelle Gary Daniels, et il a parfaitement la carrure pour interpréter la montagne de muscles que nous connaissons. Le gars est un ancien champion d'un sport de bourre-pif parmi tant d'autres et est encore plus carré que Schwarzie dans sa période Predator - c'est dire. Principal défaut de Gary: ses talents d'acteur le poussent à exprimer la douleur d'une façon un peu bizarre - mais comme Ken ne souffre pas beaucoup, on a pas trop l'occasion de le remarquer. Ainsi, la scène où Shin fait la cicatrice de la Grande Ourse à Ken permet d'admirer M. Daniels dans ses oeuvres: quand il a mal, il fait une bouche toute ronde et de gros yeux, un peu comme quand on renifle du caca fabriqué à partir de bouffe mexicaine. Bizarre, je vous dis. D'après la jaquette du DVD, le rôle par lequel on serait susceptible de le connaître est, je cite: "adversaire de Jackie Chan dans Niki Larson". Vous savez, Niki Larson! Le titre français d'un film hong-kongais sur un manga japonais à inspiration américaine! Créé alors que le mur de Berlin était toujours debout, City Hunter n'aura pas attendu la mondialisation pour ratisser large (posez vos flingues, j'adore Tsukasa Hojo). Si vous ne vous souvenez pas du film, c'est facile: à un moment, Jackie Chan se bat sur un yacht et entre dans une salle d'arcade à l'intérieur de ce dernier. Il fait un vol plané dans une borne Street Fighter 2 et se retrouve dans la peau de Chun-Li, avec chignons, bracelets piqués à Médor et toute la panoplie. Si vous ne l'avez pas vu, vous devez de comprendre que ce "joyau" de TF1 vidéo doit être maté.
Autre surprise, double celle-là: on voit le père de Ken. Ou son père adoptif qui lui a enseigné le Hokuto, le film n'est pas clair là-dessus; il apparaît carrément comme un fantôme revenu de par les morts (on voit même son squelette sortir de sous terre!). Et le côté "double" de cette révélation, c'est qu'il est joué par... Malcolm McDowell. Un grand monsieur qu'on se demande un peu ce qu'il fout là, mais qui n'a pas eu de grand rôle depuis sa prestation de l'Amiral Tolwyn dans les fabuleux Wing Commander 3 et 4, des jeux PC que j'adore. Bon, d'accord, c'est aussi le rôle principal de l'Orange Mécanique de Stanley Kubrick.

Mais la vraie question que vous vous posez, c'est évidemment: est-ce que c'est fidèle au manga, ou est-ce que c'est encore un truc vaguement inspiré comme le film de Street Fighter avec Ryu et Ken arnaqueurs de loubards et refourgueurs de pistolets à mousse? Arrêtez de pleurer nerveusement en pensant à ça, désolé d'avoir ressorti ce souvenir douloureux. Et Chun-Li était reporter, et Honda était son caméraman, et Jean-Claude Van Damme et Kylie Minogue qui... Allez, j'arrête, mais vos sanglots étaient rigolos à écouter. Donc, bonne nouvelle: c'est super fidèle, à l'exception de quelques écarts que l'on peut mettre sur le dos de la "liberté artistique".
Liste du glop glop: les persos ont gardé les noms japonais: Kenshiro, Shin, Julia, Bat, etc. Ken fait toujours éclater des têtes par simple imposition des mains, mais ne s'en sert que comme fatalités - il n'empêche que quand il a sorti à un méchant "c'est inutile, tu est déjà mort" juste avant le gros boum, la salle de projection a fait la hola. Salle de projection composée de mon salon, d'une Xbox pour lecteur DVD et d'un paquet de Prince goût Choco, mais je digresse. Les explosions de crânes sont plus proches des OAV Shin Hokuto No Ken que du manga ou de la série TV: on voit la tête enfler de façon sporadique, mais presque jamais de cervelle visible au moment fatidique (par manque de budget?). Le scénario reprend des moments-clé du début d'Hokuto No Ken et serre le tout en 1h25 sans que ce soit indigeste (ça reste un film US de baston après tout, puis bon, Ken c'est pas compliqué non plus...).
Liste du pas glop: Ken se bat hélas avec du kung-fu classique (mais bien quand même!), et les mouvements de Hokuto sont un peu ridicules: on dirait qu'il donne de petites tapes sur le corps de son ennemi! La petite Lin était, dans l'histoire originale, muette depuis qu'elle avait vu ses parents se faire massacrer - traumatisme qui existe vraiment. Dans ce film, elle est rendue aveugle à cause de la même chose (que c'est tordu!), et quand Ken la guérit, je suis étonné qu'elle ne fasse pas une rechute illico en voyant les gueules d'amour qui l'entourent! En ce qui concerne les "libertés artistiques": Bat meurt (alors qu'il faisait partie des rares à survivre dans le manga!), on a une grosse happy end bien convenue, et Julia ne se suicide pas - alors que dans la version française de la série TV, le doublage donnait: "Non Julia ne t'approche pas de la terrasse la rambarde n'est pas encore construite, JULIAAAAAAA! (chute, et plaf quelques dizaines d'étages plus bas) C'est un scandale, appelez-moi le menuisier!"
Mystère: la section "Product Placement" du générique de fin. Le "product placement", c'est quand un film fait de la pub ni vu ni connu pour divers machins. Ca gonfle le budget et ça coûte pas grand chose au montage. Sauf que franchement, dans un scénario post-apocalyptique, vous voulez mettre quoi comme produit? Des abris anti-atomiques? La seule chose qui importe dans Hokuto No Ken, c'est l'eau, et le film respecte ça. Or, le générique a un plein écran consacré au product placement, citant même Jolt Cola! Et on trouve beaucoup de marques de fringues, genre fringues de motards. Ah, tout s'explique: sans sponsoring, tout le monde aurait tourné à poil.

Au final, on obtient quoi? Un film de baston un peu convenu mais rempli de la bonne intention qu'est de coller à l'histoire dont il est adapté. On garde donc les inconsistences déjà existantes dans le manga (mais d'où ils tirent toute cette essence pour leurs motos?) et on en ajoute d'autres (pourquoi ils ont tous des blousons en cuir?). On compte trois lieux pour tout le film: un village de tôle, des plaines - en fait, un décor de ciel à 5 mètres derrière les acteurs puisque tout semble avoir été tourné en studio - et le palais luxueux à la fin (dont la vue extérieure me fait penser à trois pots de yaourt empilés). On alterne entre le pire (la scène des cicatrices, probablement filmée un lendemain de restau mexicain), le meilleur (l'entrée de Ken dans le palais de Shin: il faut croire que les scènes de baston dans un hall d'entrée sont toujours réussies), et de belles crises de rire (Shin qui balance des boules de feu!). On aurait pu avoir un carnage total - la VF de la série donne un aperçu -, on ne l'a pas eu. Autrement dit, mission remplie pour un film sans grande prétention.