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(cet article fait suite à celui du 19 mars 2008)



Lors de l'article précédent, je racontais quelque mésaventure sous-marine alors que je tentais ma première partie en Difficile, sans boussole et sans Vitachambers (résurrection immédiate et sans pénalité). Et sincèrement, vous en avez dit bien plus dans de fort intéressants commentaires. Les compromis de gameplay qui ont amené un scénario aussi osé à se vendre à plusieurs millions d'exemplaires, les bugs qui n'en sont pas (les niveaux qui se repeuplent d'ennemis comme à l'époque de la SNES), et vos impressions sur le jeu tout en m'incitant à ne pas lâcher l'affaire.

Non, je n'ai pas sauvé toutes les Little Sisters.

Vous avez joué à System Shock 2 ? Bah : même parmi les lecteurs de l'éditotaku, on doit en compter moins d'une dizaine. Vieux jeu PC considéré comme l'un des meilleurs de la plate-forme, réalisé par une bande de jeunes développeurs chaperonnés par feu-Looking Glass (Warren Spector !). Ce sont les mêmes qui ont développé Bioshock, élaboré comme un System Shock 3 sous-marin et sans le nom, la licence étant restée chez Electronic Arts. Sauf que voilà, Bioshock est en tous points de vue System Shock 2, mais sous l'eau. Même scénario, même gameplay, tout pareil, je vous dis. Est-ce un mal ? Si peu de gens ont connu le grand frère, voici qu'ils le découvrent façon next-gen dans Bioshock ! Et en bonus, on peut ainsi repérer les journaleux de pacotille qui ont crié à l'histoire super originale.

Mettons-nous bien d'accord : la vraie originalité de Bioshock, c'est son ambiance. Oui, le style art-déco fifties, on a déjà vu ça dans Grim Fandango, mais c'était au milieu d'un melting pot aztéco-film noir. Dans cette forteresse sous-marine, le temps s'est arrêté au milieu des arts et idées de l'époque, dont le concept d'objectivisme. Je résume cette philosophie : l'Homme doit se débrouiller seul et par lui-même, sans utiliser ou se laisser exploiter par autrui pour arriver à ses fins. Cela implique donc le refus absolu de religion et autres concepts abstraits, tout en acceptant le principe que tout le monde n'est pas égal. La méritocratie à son paroxysme, quoi. Philosphie défendue durant la seconde moitié du XXème siècle par une femme d'origine russe, Ayn Rand, qui a - entre autres ouvrages - écrit La Révolte d'Atlas, roman qui explique l'objectivisme (et qui va avoir une adaptation en film avec Keanu Reeves à la fin de l'année). Synopsis : une société infectée par une humanité stupide et paresseuse, exploitant par les lois ou les croyances le dur labeur des quelques génies qui font une différence, par leur science ou leur travail. Génies qui finissent par disparaître, emmenés par un homme énigmatique qui fabrique une ville coupée du monde pour qu'ils puissent vivre en paix. Bien sûr, leur absence finit par provoquer la déchéance du reste du monde... Grosso modo, c'est la base scénaristique de Bioshock (un personnage s'appelle Andrew Ryan, un autre Atlas, etc) sauf que le jeu se déroule après que cette ville isolée tombe elle-même en ruines, détruite par une science dénuée d'éthique et d'humanité.
Oui, moi aussi j'ai du mal à croire qu'on parle d'un jeu vidéo. Jeu vidéo qui véhicule donc des idées franchement radicales, dans des lieux qui le sont tout autant. Quand on voit un ghetto aux murs recouverts de photos jaunies de personnes disparues, quand on entend des rescapés d'Auschwitz expérimentant à leur tour des mutations génétiques sur des enfants, quand on croise des cadavres pourris de femmes violées et des gens qui utilisent le mot "fuck" (le DVD est multilangage, yay) sans ce que soit gratuit, il y a comme un décalage avec, disons, toute l'industrie actuelle du jeu vidéo. C'est cette ambiance exceptionnelle qui fait Bioshock et qui méritait bien ce gros paragraphe.

Et pourtant, je ne suis pas satisfait de ce jeu. Et croyez-moi, j'ai envie de me flageller avec des câbles RCA pour ça. J'en suis ressorti égoïstement, boudant la conclusion (comment peut-on faire un univers aussi original et un boss final aussi cliché ? Et cette fin qui n'a même pas la politesse de faire défiler le générique ?), n'oubliant pas que ce qui fait un jeu, c'est son gameplay. Et là, c'est le désert. Je pense à Fabien Vautrin (allez lire le blog de l'éditeur Kurokawa) qui m'expliquait par le menu en quoi Dragon Quest VIII était strictement identique à tous les autres épisodes, la 3D en sus. Bioshock, c'est du shoot ultra-standard, des armes vues mille fois, des ennemis qui réapparaissent d'on ne sait où. La plupart des pouvoirs surnaturels sont inutiles, si ce n'est à légitimer le combat au corps-à-corps, qui en devient si puissant que fusil à pompe ou mitrailleuse semblent ridicules ! Okay, on peut pirater les caméras de surveillance pour aider un petit peu, mais ça n'a rien de bien neuf et ça lassera ceux qui ont trop joué à Pipe Mania sur leur Amiga.

Sans parler des tas de petits trucs qui cassent l'immersion. Ou plutôt si, parlons-en, parce que c'est à cause de ça que le charme s'est évaporé. Pourquoi, quand le héros porte une armure, ses mains sont toujours nues ? Pourquoi, quand on lui dit qu'il ne fera pas long feu après avoir changé un peu trop de trucs à son anatomie, une des fins montre qu'il fera de vieux os ? Pourquoi est-il quasi-impossible d'amener les ennemis à se fritter entre eux en rusant, sans utiliser la méthode officielle du pouvoir-magique-qui-enrage-les-méchants ? Ce ne sont que pécadilles. Dans mon article précédent, découvrant le jeu directement en difficulté max, j'étais dans le trip. Puis j'ai réalisé que le mécanisme de résurrection instantanée est partie intégrante du gameplay, et que même si le patch a ajouté une option pour le désactiver, Bioshock est injouable sans ce dernier. Mais une fois réactivé, la cité de Rapture est devenue un parc d'attractions. Plus de danger, plus de réflexion avant de prendre des risques, juste du shoot et des cadavres. Andrew Ryan, le maître des lieux qui me menacait par talkie-walkie, autrefois si terrifiant, me semblait comique maintenant que je pouvais ressuciter en un clin d'oeil. J'ai avancé sans trop me poser de questions, cherchant juste la dernière page de cette histoire à l'ambiance si envoûtante. Les combats (l'ensemble du gameplay fort insipide, en fait) étaient inconsciemment gérés par la zone "gamer" de mon cerveau, en joueur somnambule. Tuer, recharger, et de temps à autres, une petite partie de Pipe Mania : on fait ça les yeux fermés quand on joue depuis l'Atari 800XL. Une stase stupide, que l'on réserve aux jeux fades - et en tant que jeu, Bioshock est assez fade. Le cerveau cité plus haut ne s'éveillait que pour les avancées du scénario. Un peu comme quand j'ai traversé Metal Gear Solid 3 en Very Easy juste pour l'histoire, comme un magnétoscope qui vous demande d'appuyer sur des boutons pour s'assurer que vous ne vous êtes pas endormi.

Au final, je retiens surtout un chapitre complètement inutile du jeu, créé comme pour être facilement effaçable au cas où il aurait déplu à quelque responsable marketing : Sander Cohen. A un moment, votre progression est arrêtée net par un artiste un peu fou, qui ferme une porte vers la suite de l'aventure et vous promet la clé en échange de votre aide pour terminer son chef d'oeuvre. Sans autre raison, on explore les quartiers de divertissement de Rapture, pour remplir une de ces stupides listes de courses dont les mauvais jeux sont friands. Sauf que là encore, c'est l'ambiance qui fait tout, et la chasse à l'homme orchestrée par ledit Sander Cohen vire à l'étonnante farce graphique. Tout Bioshock, y compris son principal twist scénaristique, repose sur la moquerie du joueur, ce rappel permanent qu'il n'est qu'un singe devant un écran qui obéit connement parce que c'est ce qu'on attend de lui. D'autres jeux se jouent ainsi du joueur (assonance), l'enlevant de son piédestal divin "il ne se passe quelque chose à l'écran que si JE presse ces boutons" pour le mettre dans un labyrinthe pour souris de laboratoire "c'est moi, le jeu, qui te dis d'appuyer sur ces boutons et c'est moi qui t'offre quelque chose en retour, pauvre pomme" ; par exemple, Metal Gear Solid 2, Killer7 ou In Memoriam. Et le pire, c'est que ce genre de reality check violent est si rare qu'on en redemande volontiers.

Sander Cohen est carrément le meilleur personnage secondaire de ce jeu : bien plus tard, en visitant ses appartements, on tombe même sur un couple de junkies qui oublient leur manque de came pour danser un tango dans son salon. On n'ose même pas les déranger tant la scène est onirique.

En bref, Bioshock, c'est un jeu quelconque parfaitement enrobé dans une ambiance et un scénario fantastiques, surtout si vous n'avez pas connu System Shock 2. Aucune originalité de gameplay (même le très classique Call of Duty 4 est bien plus fendard à jouer), mais le ton et l'intelligence de l'univers sont si osés pour un jeu vidéo qu'ils doivent être vécus, ne serait-ce que pour prouver qu'une meilleure liberté artistique ne peut faire que du bien à cette industrie. Bref, même conseil que pour Metal Gear Solid 3 : laissez un pote faire la partie pour vous, posez-vous sur le canapé à coté et garantissez le bon déroulement de l'excellent spectacle en vous occupant d'aller chercher bouffe et boissons dans le frigo. Bioshock vient de passer à 20€ sur PC et 30€ sur Xbox 360.



Ce soir, dès 21 heures (ou dès 20 heures si vous n'avez pas encore mis à jour l'horloge du four, de la Nintendo DS, de votre montre, de votre Saturn, de votre réveil-matin, de votre Neo Geo Pocket, etc), session IRC comme chaque dimanche sur #editotaku@irc.worldnet.net ! On discutera peluches et figurines diverses.