Purée, que je déteste entrer dans ce magasin. Je n'y vais que lorsque j'ai un bon tuyau m'annonçant qu'ils ont fait une erreur d'étiquetage ou que leur argus foireux a mis un OutRun2 Coast2Coast à 8 €. Ce qui était précisément le sujet de ma venue ; pas question que j'écume leurs rayonnages à slalomer entre kevins et vendeurs crétins pour chercher les bons plans. Et à force de retenir ma respiration, je finis par demander à un de ces magasiniers :
- Bonjour, vous auriez Outrun2 C2C sur Xbox, sivouplé ?
- Non... Mais entre nous, vu comment sont les Need For Speed aujourd'hui, je ne vois pas pourquoi on jouerait encore à Outrun2.

5, 4, 3, 2, 1.
A 5, votre tornade devient une tempête.
A 4, votre tempête devient un vent violent.
A 3, votre vent violent devient une bourrasque.
A 2, votre bourrasque devient une brise.
A 1, votre brise devient un air léger.
5, 4, 3, 2, 1.


Durant le compte à rebours, je reste figé comme un con, le même sourire diplomatique vissé à la face, et un ange a largement le temps de passer alors qu'on se regarde dans le blanc des yeux. Il finit par dire :"vous êtes un fan de Sega, non ?" Woaw, j'ai affaire à un prix Nobel : autant en profiter un peu. "Et ils sont comment, les NFS à présent ?" Le vendeur qui était à 50 cm de son collègue se casse, faisant un large geste d'exaspération, pour bien me faire comprendre qu'il préfèrerait qu'on me vendre un NFS plutôt que de se lancer dans un débat mort-né de pseudo-gamers gnagnagna Sega vaincra gnagnagna Nintendo c'est les plus forts. Mon interlocuteur porte aux nues la capacité de customisation des voitures, et que même si monsieur n'a rien d'un Jacky, me dit-il, il adore passer des heures à faire une jolie voiture. Mais euh, comme le jeu est axé solo, personne ne voit jamais sa voiture super cool, non ? Mais c'est juste pour un plaisir à soi. "Comme les glaces", qu'il me dit. Sauf qu'une glace, ça se partage, et pas avec des intelligences artificielles. J'abrège la conversation pour aller chercher un bol d'air frais.

Pendant ce temps, Pro Evolution Soccer 6 tourne en boucle dans toutes les bornes de démonstration des magasins visités. Alors, qu'est-ce qui est cool dans cette mise à jour ? 10 fois sur 10, on me répond en premier : les nouvelles licences de clubs achetées. FIFA se fait fort d'avoir toutes les licences, même si son gameplay est "inférieur". Donc, PES s'adresse avant tout à ceux qui cherchent un bon jeu, et secondairement, une simulation conforme aux transferts de clubs... Mais est-ce vraiment secondaire ? Le jeu a un meilleur gameplay, tout le monde y joue pour cette raison, et pourtant, le principal avantage de PES 6, ce sont ses nouvelles licences. Soit ça veut dire que le jeu est déjà parfait et que la seule façon de l'améliorer est en répondant aux autres attentes des joueurs, soit ça veut dire que la présentation est vraiment importante.

Comme le fan de NFS cité plus haut, tiens ; il préfère modéliser une belle voiture que personne ne remarquera à un jeu tout simplement fun (qu'il n'a probablement pas touché, mais ce n'est que supputation personnelle). La présentation dans les jeux, c'est un débat aussi vieux que les jeux eux-mêmes : de bons graphismes font-ils un bon jeu ? Pourquoi suis-je accro au hentai de Dead or Alive alors que je hais ce jeu ? Mais pourquoi met-on les pièces les plus simples en jouant à ChessMaster quand ce dernier propose des échiquiers avec des personnages en 3D qui s'entretuent quand on capture un pion ? Est-ce que le "vidéo" de "jeu vidéo" est si important que ça ? Est-ce qu'un jeu doit être innovant pour être fun, comme le dit ce monsieur d'EA qui - pour aussi hilarant que cela puisse paraitre - déplore le manque d'originalité de Gears of War ?

Exemple actuellement dans ma Xbox : Project Snowblind, du studio Crystal Dynamics, à l'origine de la saga Legacy of Kain, Tomb Raider Legend et plein de jeux à l'époque 32-bits comme Gex ou Pandemonium. Autant les Soul Reaver et Blood Omen, à force de tourner avec le même moteur 3D et les mêmes énigmes depuis la psone avaient fini par me faire lourdement chier, autant TR Legend et Snowblind me surprennent agréablement. Snowblind, donc, compulsivement acheté sans même avoir regardé le genre ou le studio - juste la jolie jaquette. C'est un FPS avec un soldat blessé au combat qui se fait gaver d'implants par ses supérieurs, genre Robocop. On avance dans de grands niveaux qui ne sont que de longs couloirs linéaires, les portes s'ouvrent quand tout le monde est à terre, et on se promène avec une dizaine d'armes sur le dos. Parfois, on vole une tourelle ou un véhicule. De temps en temps, on gagne un nouveau pouvoir : bloquer les balles adverses, vision passe-muraille, vous voyez le genre. Techniquement, la Xbox est parfaitement à l'aise, tant les niveaux et modèles 3D ont été taillés pour les limitations de la ps2, multiformat oblige. Quoique.
Même s'ils n'ont pas rééchantillonné les textures et le contenu 3D, la version Xbox est quand même soignée tant on n'a pas forcément l'impression d'avoir affaire à un portage bâclé. Effets spéciaux chiadés, parfaite intégration XboxLive, temps de chargement minimaux. C'est là toute la finesse et l'agréable surprise de Project Snowblind : sa présentation est absolument sans faille. Le jeu est générique, le scénario inexistant, les ennemis lobotomisés, la 3D loin d'être transcendante, mais le tout bénéficie d'un emballage somptueux. Les pouvoirs bioniques sont bourrés d'effets étonnants, les niveaux sont bourrés de petits détails (on peut piquer les voitures dans un parking, les messages de propagande balancés par les enceintes dans les rues), l'interface a vraiment un look de réalité augmentée... C'est le plus gros point fort du jeu. On joue parce qu'on a vraiment l'impression d'être un soldat dopé aux nanomachines avec des indicateurs à l'écran qui indiquent le prochain objectif alors que le QG nous conseille par une radio collée dans le crâne. Est-ce que ça en fait de la télépathie ? J'en sais rien.

Du coup, il y a de quoi réaliser combien la forme importe, et combien il peut parfois y avoir de l'hypocrisie dans les discours du genre "les graphismes ne sont pas importants". Exception faite du retrogaming : là, on s'étonne de la qualité graphique des gros pixels parce que le résultat était étonnant compte tenu de la technologie existante, ou des géniales pirouettes que les développeurs pouvaient trouver pour contourner leurs limitations (autrement dit, on ne les compare pas aux machines actuelles, tout comme on ne compare pas le cinéma noir et blanc aux films contemporains). Si je continuais à jouer à Command and Conquer même après une énième défaite, c'est parce que le jeu était vraiment immersif : l'interface magnifique ("contrôle du combat terminé" !), les cinématiques de Westwood, l'impression d'être dans un bunker en pleine troisième guerre mondiale. Rez n'est pas moche ; son graphisme en fil de fer a séduit ceux qui y ont vu une représentation post-moderne, justement inspirée par Kandinsky (à qui le jeu est dédié dans le générique de fin). Du coup, la question inverse : est-ce qu'une bonne présentation fait un bon jeu ? Ben non, puisque Dead or Alive est à chier.