Au cas où vous ne le sauriez pas déjà, j'ai passé toute l'année 2001 au Canada. Et pendant ce temps, en France, il s'en est passé des choses... Ou tout du moins, c'est la seule explication qui me soit venue à l'esprit quand mes parents m'ont regardé comme un extra-terrestre après avoir demandé "mais c'est qui Loana ?" Il y a aussi eu "Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain" (*), film qui explosa le box-office français. Une amie m'expliqua le phénomène : les premiers spectateurs au début de l'exploitation étaient sortis des projections avec un sourire d'une oreille à l'autre, mais l'effet de bouche à oreille (exacerbé par les journalistes qui parlaient d'un "phénomène Amélie") s'était amplifié jusqu'à ce que toute la populace se rue dans les salles sombres... avant d'en ressortir fort déçues, tombant simplement sur un "bon petit film" alors qu'après tout ce tapage médiatique, ils s'attendaient à un chef-d'oeuvre. C'était simplement une tranche de vie toute heureuse, célébrant la joie de vivre, le carpe diem et tous ces machins du même genre.

La vie ordinaire d'Haruhi Suzumiya, c'est tout pareil. C'est un gros morceau de plaisir en animation, une féérie qui veut faire groover l'esprit du téléspectateur sans le prendre pour un con - rien que pour ça, c'est à regarder ; depuis Fruits Basket, on n'avait pas vu un tel concentré d'anti-déprime. Et en soi, le club d'Haruhi Suzumiya, le SOS-dan (appelé "service d'aide aux étudiants" auprès de l'administration scolaire) est une façon comme une autre d'amélipoulainiser le monde, en aidant les gens à être heureux - même si c'est pas forcément avec leur consentement. On ressort d'un épisode en chantant et en dansant (littéralement), et quand on nous demande ce qu'il faut mater comme anime en cette saison 2005-2006, on répond automatiquement par le tandem Haruhigurashi. Sauf que ce n'est pas un chef-d'oeuvre, et les gens finissent par se demander si tout ça n'est pas un peu envahi par la hype.



Quoique. La vie ordinaire d'Haruhi Suzumiya a quand même pas mal d'arguments en sa faveur pour qu'on hurle au chef-d'oeuvre. A mon humble avis, le premier est le soin extrême apporté à l'ensemble de la série : on voit des musiciens animés comme on-a-jamais-vu-ça-avant-sur-la-vie-d'ma-mère, Haruhi se jette vers le premier plan et le plan de "caméra" est flouté pendant un dixième de seconde pour réajuster la focale, un personnage modifie le site internet, et sa copie réelle contient un commentaire dans le code HTML. Il y a pas mal de liens entre l'anime et le monde "réel", empruntant quelques techniques au principe des ARG, les jeux de réalité alternative - principalement utilisés à des fins marketing. On a le public qu'on mérite : ce jeu du chat et de la souris avec les téléspectateurs a déclenché un décortiquage en règle de chaque cellulo avec une célérité rarement atteinte. Les références à la pop culture sont raffinées et discrètes, sans qu'on se sente obligé de se lever toutes les cinq minutes en criant au clin d'oeil ; ça parodie, mais ce n'est pas une parodie. Et à voir combien les auteurs ont été inspirés (il y a même une moitié d'épisode calquée sur la scène de ménage entre Shinji et Asuka dans End of Evangelion, c'est dire), il y a encore une fois de quoi hurler au chef-d'oeuvre.

Mais ça n'invente rien. Dans l'industrie du jeu vidéo, Blizzard n'invente rien : ce studio se "contente" de prendre des concepts et mécanismes déjà existants, et les applique en les peaufinant à la perfection dans ses propres jeux - d'où leur succès, le joueur retrouvant aisément ses marques. Dans cet anime, c'est pareil : certains personnages sont des clones de la faune animée - Haruhi = Asuka d'Evangelion, Yuki (*)= Rei Ayanami (et ses clones genre Ruri de Nadesico), des épisodes entiers tiennent de la tranche de vie vue et revue dans n'importe quel school anime, mais Dieu que c'est bien fait.

Tiens, en parlant de Dieu : vous connaissez déjà ChristianAnime, non ? C'est comme CAPalert, mais en version anime et moins intégriste : une base de données des animes "religieusement corrects", ce qui est quand même hilarant quand on sait que Jésus Christ a assez peu de fans au Japon - et donc, les producteurs se foutent royalement de faire un truc qui ne froisse pas cette audience (souvenez-vous de l'église dans Mai HiME). Que penseraient-ils de Haruhi ? Dans cette série, on en vient à se demander si Dieu est vraiment si omniscient et/ou omniprésent que ça. Quand quelqu'un se fait saigner comme un porcelet dans une salle de classe après les cours, est-ce parce que les voies du Seigneur sont impénétrables, ou parce qu'il ne faisait tout simplement pas attention à ce moment-là ? Et s'il faisait tout ça pour s'amuser un peu ? Dieu est-il vraiment amour, ou juste un être qui se fait monumentalement chier ?

Vous devez vous demander pourquoi j'ai traduit le titre Haruhi Suzumiya No Yuutsu en "La vie ordinaire d'Haruhi Suzumiya". Quand j'ai vu le premier épisode, mon crâne a lié "No Yuutsu" à "Nagi-chan No Yuutsu", un manga hentai traduit en anglais par "Co-Ed Sexxtasy" (je parie que vous avez les scans sur votre disque dur) et en français par... "La Vie Ordinaire de Nagi-chan" (*), bien évidemment disponible sur mon étagère. On ne se refait pas.



Que dire d'autre ? Que pendant la cultissime scène de rock, j'ai fini l'épisode comme Haruhi, en nageant dans ma propre sueur devant l'intensité du spectacle ? Que Haruhi Suzumiya No Yuutsu, puisque n'innovant rien dans la Japanime mais faisant "simplement" un travail exceptionnel, ne mérite pas l'étiquette de "quatrième impact de l'animation japonaise" (après Astroboy, Gundam et Evangelion) que d'aucuns n'ont pas hésité à lui coller ? Qu'on est en droit de s'attendre à un lobbying des fans auprès de l'éditeur français qui distribuera les DVD pour avoir les épisodes dans leur ordre de diffusion à la télé nipponne, autrement dit dans le désordre ? Que les seiyuus s'éclatent monumentalement, jouant sans cesse avec leurs voix en alternant entre des tons de lycéenns et d'adultes, reflétant tour à tour l'apparence ou le for intérieur des personnages ? Que c'est une des meilleures séries qui grâce cette saison 2005-2006 ? Bah, tout ceci a déjà été écrit. Dieu existe, et c'est un personage d'anime.