Depuis vendredi dernier, on peut trouver dans les magasins la réédition d'Another World, déjà abordée dans cette colonne. Pour le tout petit prix d'une dizaine d'euros, on a le jeu - dépourvu de protection quelconque ou de vérification de CD, ça fait plaisir - pour Windows en version originale (16 couleurs et 320x200) et remasterisée (décors et musiques remis au goût du jour), la bande-son sur un second CD, un petit reportage d'une quinzaine de minutes (*) et des PDF contenant les ébauches de design et de programmation ; grosso modo, tout ce qu'on peut mettre dans une édition célébrant le quinzième anniversaire d'un jeu vidéo - une éternité dans ce milieu. Quand on pense à la version téléchargeable à 7 €, au coût de fabrication (le boitier DVD est dans une jaquette en carton imitant la boite de la grande époque), les taxes et ce qu'on laisse à la boutique, c'était impossible de faire moins cher... à moins d'être gratuit. C'est d'ailleurs le principal reproche adressé par la presse, qui a défoncé ce produit car il est payant (et paf, un 3/10 dans Canard PC).

Il faut dire ce qui est : on achète cette réédition parce qu'on a adoré Another World à l'époque, comme un hommage à un grand jeu fait par un type génial. On ne l'achète pas sans y avoir joué, par curiosité ou "parce qu'on l'a raté à l'époque". Il faut être parfaitement conscient de ce qui nous attend sous peine de retailler le CD avec une paire de tenailles et mettre en doute les bonnes moeurs de la maman d'Eric Chahi.
Acheté, installé et terminé le jour même, je dois quand même faire quelques confessions. Déjà, j'en ai chié des briques, en partie parce que le timing du jeu n'est pas fidèle à l'original - un comble pour un remake qui se veut fidèle ! A l'époque, je n'avais pas pu le terminer, et je comprends enfin pourquoi ; ces énigmes incompréhensibles à la logique proprement extraterrestre, uniquement imaginables dans le cerveau tordu d'un programmeur ayant passé trop de temps sur son GFA Basic. Risquer sa vie dans des impasses bardées de monstres pour déclencher un évènement dont on ne réalise la portée que bien plus tard, joindre des éléments sans queue ni tête pour tuer un garde ou ouvrir une porte : un gameplay véritablement masochiste, à la portée bien plus sadique que les morts multiples du pauvre héros, car il crève sans même savoir pourquoi. A l'époque, j'avais les m4d skillz au joystick, mais je n'étais pas encore assez fou pour entrer dans cette "logique" parfaitement insensée.
Ce débat des morts dans les jeux vidéo n'a pas attendu les MMO et leurs "permadeaths" pour exister. Quand la mort sert-elle pour indiquer au joueur qu'il n'est pas sur le bon chemin et lui donner un indice sur ce qu'il doit faire, et quand sert-elle de pénalité bête et méchante qui va l'encourager à arrêter de jouer ? Même en connaissant Another World par coeur, on crève régulièrement, et je suis persuadé que même Eric Chahi ne pourrait pas finir son propre jeu sans claquer. C'est symbolique d'une autre époque, où les joueurs de jeux vidéo étaient des mensans aussi zen que Bouddha. Nan, vraiment, les seuls qui achèteront cette réédition seront des rescapés de cette époque, un achat comme un acte citoyen, par ceux qui savent qui est Eric Chahi (à savoir, un monsieur qui mériterait bien d'avoir une médaille en chocolat la prochaine fois qu'un gouvernement en manque de popularité voudra se faire aimer de ses jeunes électeurs) et veulent lui faire comprendre qu'on aimerait le revoir sur nos machines à jeux vidéo. On l'achète pour retoucher au mythe, pas au jeu - lui, on a arrêté de le tripoter il y a environ 15 ans.



(*) Réalisé par Thierry "j'ai écrit dans Gen4 avant sa chute" Falcoz et pondu par GameProd, une boite regroupant des anciens de Player One (dont El Didou ou Cyril "Crevette" Drevet), Game One pré-apocalypse et autres antiquités, qui est déjà à l'origine de quelques émissions de jeux vidéo sur AB1 et Cie. Autrement dit, des gens qui tâtent leur sujet. Dans le précédent texte sur l'éditotaku qui parlait de la réédition d'AW, un commentaire rappelait le reportage de l'époque à Envoyé Spécial sur France 2, où Eric Chahi était "présenté comme un ado attardé, bricolant des trucs dans la cave de ses parents". Or, dans ce making-of, Eric Chahi a toujours l'air d'être un rêveur enfant dans un corps d'adulte, ce qui donne droit à quelques scènes étonnantes de modestie et de candeur.



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