(articles sur le magazine)

En fait j'y ai passé deux demi-journées, mais 0,5 + 0,5 ça fait 1.

Samedi soir, j'appelle Stéphan "H.Falcon" Cahn, le big boss de GameFAN, pour convenir d'un rendez-vous. Il est 21 heures, et l'homme est à la rédaction. Occupé, il m'invite à le rappeler dans une heure. A 22 heures, il est toujours en train de bosser; au cours d'une interview improvisée, il parlera de son entreprise pendant une bonne heure ("il tchatche *beaucoup*", avait prévenu un collaborateur du magazine). Passionné, enchaînant les sujets à toute vitesse, il est difficile en face de lui d'en placer une. On se voit lundi après-midi.
GameFAN est édité par la société Japan Culture Press, qui avait auparavant édité Arkadia (l'ancêtre de GF version baston, qui subsiste au format 16 pages dans son petit frère) et Babylon, qui traitait d'animation japonaise. Falcon est également patron du magasin J-Type, proche du boulevard Voltaire (connu pour ses nombreuses échoppes vidéoludiques) dans le 11ème arrondissement. Pas de baie vitrée clinquante ou de grande enseigne fluo: il faut chercher le deuxième étage d'un petit immeuble avec une enseigne discrète, pratique plus habituelle au Japon. Une fois entré, le dépaysement continue: les étagères - non vitrées pour la plupart - sont en bois, les consoles en freeplay, des magazines et des mangas (français et japonais) en libre service. Les jeux sont presque tous des imports JPN ou US, le fond de la boutique est doté d'un projecteur "pour les soirées shmup et baston" et d'un cabinet MVS. Derrière un paravent et juste avant le bureau du patron, un local triste dans le plus pur style "cage à hamster" avec deux ordinateurs, des sacs de couchage roulés dans un coin et une pancarte "GameFAN" sur un mur. Bienvenue à la rédac'.

Recio reconnaît le raton-laveur, précise que le stick arcade sur le making of de la couverture est un clin d'oeil à une vanne de l'éditotaku, puis répond au téléphone. Il bosse dans la boutique, prévoit de sortir une BD en librairie et adore les change attacks dans KOF 2003 (il a dû m'en placer 10 par match). Les présentations se poursuivent: Fabien, Falcon et lui-même sont plongés dans la mise en page d'une publicité pour le magasin. Le soin est maniaque: la disposition du moindre élément est discutée au pixel près. Falcon dit de "laisser les fautes d'orthographe bien visibles pour montrer qu'elles sont voulues" et tout le monde se marre. Au fait, pourquoi autant de promo pour la boutique mais presque rien pour GF? Parce que les autres magazines n'en voulaient pas dans leurs pages. Et l'idée suggérée de laisser des affiches téléchargeables sur le site pour que les GameFanboys fassent eux même la pub est accueillie par un "il est hors de question que chez Japan Culture Press, quelqu'un fasse les choses gratuitement".

"Life is just a fucking coincidence", me dit Fabien. Il vient de raconter comment il est entré dans l'équipe de GameFAN, en poussant la porte de J-Type alors que le premier numéro était en préparation. Le monde de contraintes entre presse web et presse papier, qu'il s'agisse des délais ou de l'impossibilité de corriger une coquille une fois qu'on a publié - ou comment perdre quelques nuits de sommeil à cause d'une mauvaise version du hors-série "Game Museum" chez l'imprimeur. Ne pas oublier le funeste destin de Gaming, vécu en tant que stagiaire, maintenant qu'il est rédacteur en chef d'un autre magazine alternatif. Ou indépendant, sauf que c'est pareil dans la presse vidéoludique. Il y a un an, Fabien se demandait pourquoi la presse écrite n'interagissait pas avec le Web: commencer un débat sur le papier pour le finir sur le Net, y mettre des articles non publiés dans le magazine? Réponse, une fois de l'autre côté du miroir: parce que les lecteurs n'ont pas participé après qu'on ait tenté l'expérience, parce qu'on manque plus souvent de texte que l'inverse. Sans parler de la contrainte de continuité quand on prend les rennes du magazine après quelques numéros auxquels les lecteurs se sont habitués; si ça ne tenait qu'à lui, les notes disparaîtraient et les "tests" laisseraient place à des "critiques". Sur les mêmes ondes radio, on s'interrogeait sur ces groupes de presse qui paient leurs rédacteurs, embauchés parmi des passionnés, avec des queues de cerises et des coups de pied au cul ("les lecteurs sont les premiers pigistes, les gens sont mal payés, ont l'impression de participer à une grande aventure, mais s'usent, déchantent vite et la qualité s'en ressent", in Push Start Radio 8). Depuis que le prix de la pige chez Japan Culture Press est exposé aux yeux du pays sur l'éditotaku (15€ par page), la principale différence avec "l'entreprise au nom qui commence par F et finit par M" reste l'ambiance; ici, on paie aussi les gens une misère mais personne n'use sa semelle sur les autres, et c'est déjà ça de pris. Les collaborateurs de GameFAN ont conscience de devoir faire avec peu de moyens: il manque au moins un maquettiste et un(e) secrétaire de rédaction à temps plein pour avoir une équipe "entière", mais le magazine a au moins le mérite d'avoir tenu plus de six mois.
Toutes les questions qui s'empilaient avec les articles trouvent une réponse; JCP a peu de choses à cacher. Les repompes du Net aperçues ça et là? Evidemment que les rédacteurs sont tenus de citer leurs sources, et c'est en leur âme et conscience s'ils ne le font pas. De plus, les sites Web "utilisés" dans la création des hors-séries seront cités dans le deuxième opus. Pourquoi utiliser des captures d'écran trouvables sur le Net dans les tests Nintendo? Il s'agit d'une pratique exclusive à la firme au plombier et s'appliquant à toute la presse: les images utilisées doivent être fournies par Big N, afin de "mettre le jeu en valeur". Pourquoi autant de pseudonymes, souvent pour la même personne? Parce qu'à moins d'être pigiste, le poste de rédacteur impose de bosser exclusivement pour une maison sous peine de gros ennuis avec le patron. Qu'est-il arrivé au manga King of Gamers? Les pages publiées n'étaient qu'un avant-goût: le reste suivra en librairie à la fin de l'année. Quid du sondage? Les résultats étaient très hachés, et les questions posées dans un style peu académique n'ont pas aidé à obtenir des réponses claires ("on ne savait pas faire de sondage!"). Pourquoi y'a plus d'exemplaires du premier numéro alors qu'il a été tiré à 60000 exemplaires? Parce que les invendus de la presse ne sont jamais renvoyés à la société éditrice; ils finissent dans un broyeur. Quels sont les liens avec les éditeurs de jeux? Il n'y en a tout simplement pas, à l'exception de Nintendo. Pour être dans les petits papiers des Ubi et des EA, il faudrait parler un minimum de leurs jeux... GameFAN le paie par un manque d'exclusivités ou de previews, mais ces dernières étant rarement plus que de la hype, on ne le déplore pas. Mais pour citer Pust Start Radio 13, GameFAN ne se ghettoïse-t-il pas en ne parlant que de jeux importés? Deux réponses, au choix: Fabien dit que ça ne sert pas à grand chose de parler des mêmes jeux vidéo que tout le monde, surtout quand on veut aussi les aborder différemment. Falcon répond que GF ne parle pas de titres mainstream parce qu'il en est incapable; même Prince of Persia, il n'y arrive pas. 'Suffit de regarder le magasin hébergeant la rédaction pour s'en convaincre... Trop de ps2 dans le magazine? Peut-être parce que le catalogue de sorties de cette console est beaucoup plus fourni que celui des concurrentes.

Et fred b?

Ahhhhhh, le fred b du mois, pas trop tôt. Il est d'autant plus fourni qu'il s'agissait du dernier sujet de conversation du lundi, les "grosses" questions étant réservées pour le lendemain. J'ai donc pris sorti la caméra DV et demandé à Falcon de nous expliquer Frédéric B - et c'est pas triste.
Basiquement, ses articles sont à prendre "au dixième degré". Une zone de vide intellectuel après Emergency Broadcast ou les analyses de gameplay de Yan Fanel. Ils ne racontent pas grand chose, sont un condensé de prêt-à-penser, que l'on lira volontiers pour "rire un bon coup". D'après Falcon, des lecteurs ont même demandé à ce que la rubrique "GameHeure" reste, d'où son retour (elle avait disparu dans le n°6) au format 1 page. Là où ça devient finaud, c'est que connaissant le personnage (un mot qui revenait beaucoup était "mélo"), la rédaction est cependant convaincue qu'il écrit ses textes au premier degré, même s'il clame le contraire. Elle a donc demandé des pamphlets plus courts et leur a donné une maquette vide, "comme une attente dans un aéroport", afin de mieux faire comprendre l'optique de la rubrique. Est-ce qu'on doit rire de ses textes? Oui, il est là pour ça. Mais quitte à avoir une rubrique "censée nous faire réfléchir" (dixit le B), pourquoi ne pas y mettre quelqu'un qui le ferait bien? Parce que tel quel, "Frédéric est utile pour souffler dans le mag'" (à défaut de souffler dans le ballon, NdRL). Son orientation est cependant susceptible de changer pour profiter de sa formation de journaliste, unique dans l'équipe. On lui a récemment commandé un article sur un sujet orienté business, en sachant qu'il ira rouler son Katamari là où il faut pour avoir des réponses. Reste à ce qu'il se débarrasse de ses formules toutes faites, mais Falcon "sai[t] qu'il en est capable". Fred a également écrit un livre, "L'Absolu" ("à 22 ans, il refait le monde en 600 pages, et jusqu'au big-bang!"), en parution prochaine chez Publibook - "début 2005" d'après B, mais introuvable dans le catalogue des nouveautés. Si Stéphan Cahn a accepté de parler aussi librement, c'est tout simplement parce que tout ceci a déjà été dit au principal intéressé. En tout cas, l'organisation FSB (Fan Sans le B) a enfin le point de vue officiel.

Reste que GameFAN mérite son nom: c'est un mag' fait par des gens qui s'y connaissent (à défaut de savoir écrire français), mais qui aiment souvent un peu trop leur sujet. Embaucher des rédacteurs issus du fanzinat Web, c'est vraiment une excellente initiative. Voir ces derniers pondre des tests positifs à la chaîne dans le style "si vous aimez le catch féminin/Terminator/la chirurgie, c'est un bon jeu", ça ne répond pas trop à la mission d'un mag' de jeux vidéo - nous aider à sagement dépenser 60€ (ils se sont ramollis, c'était plus sévère il y a quelques mois!).
En fait, GameFAN fait sa mue: on passe d'Arkadia, un magazine sur le pro-gaming "complètement fait à l'arrache, et ses numéros sont devenus collectors pour ça", à une revue prévue pour un public plus large, mais en train de revenir vers une audience très ciblée. Le tirage va encore être réduit, l'équipe a diminué de moitié, et le magazine sortira maintenant tous les deux mois. Le n°9 va être fourni avec un Video-CD (pour pouvoir le lire sur la Saturn^^?) et est prévu pour la mi-avril. Bien que Falcon n'aime pas le terme de "nouvelle formule", le magazine va subir de profondes modifications; lesquelles? La rédaction le décidera après quelques séances intenses de brainstorming. Impossible pour le moment de savoir où GameFAN va, et ce n'est pas un compliment. Reste que l'équipe que j'ai eu l'occasion de rencontrer a beaucoup appris durant ces derniers mois et semble attentive à son lectorat. Sa plus grosse frustration reste, outre le manque de moyens (propre à la presse indépendante?), la difficulté à transmettre sa passion pour le jeu vidéo. Cette capacité à accrocher le gamer dès qu'il ouvre le magazine, à l'instar d'un Famitsu. Ca ne tient pas seulement à la maquette ou à l'orthographe; les discussions autour du sujet parlent de "faith", "d'oser", de "liberté" et de tout un tas d'autres mots qui font mal à la tête. Vont-ils dépasser le stade de la note d'intention pour faire une revue que nous pourrons acheter en toute confiance? C'est trop tôt pour répondre, mais c'est sur ce cheval que je parie mon argent.



Addendum à cet article