J'ai toujours considéré l'absence d'adversité dans l'histoire de Mon Voisin Totoro comme une des grandes raisons de son succès. Ne partez pas, je reformule ; dans ce long-métrage, il n'y a pas de méchant, d'élément perturbateur, de conflit. Pas de quête initiatique non plus. C'est l'histoire de deux gamines qui amènent un épi de maïs à leur mère hospitalisée, point. Aidez-moi sur ce coup-là, mais je crois que c'est un peu une exception, qui a donc contribué à son universelle réussite. Tout ce que Totoro fait, c'est créer une ambiance, ramener le spectateur vers ses souvenirs d'enfance. "Universelle réussite", puisqu'il n'y a aucun repère temporel ou géographique : les enfants se baignent comme des japonais, mais vivent dans une maison occidentale. C'est à peine si l'on aperçoit un antédiluvien téléphone, qui s'avère d'ailleurs inutile dans l'histoire. Autrement dit, occidentaux comme orientaux, jeunes comme anciens arrivent à broder leur propre vécu sur le canevas du studio Ghibli. En plus, tout le monde aime les chats.

Arriety reprend cette recette d'une petite histoire sans grande importance narrée dans un lieu hors du temps et de l'espace ; là encore, c'est à peine si l'on voit passer un téléphone portable, et on a encore une maison européenne habitée par des gens qui lisent des livres avec des caractères bizarres sur les pages. Et pour compléter la perte de repères, la  musique (superbe) a été confiée à une bretonne (rousse). Un gamin au cœur un peu fatigué qui part se reposer à la campagne chez une gentille mamie, et qui trompe l'ennui en regardant passer des êtres liliputiens qui viennent chaparder un morceau de sucre ou un mouchoir en papier.

Toute la première moitié du film fait planer le spectateur dans cette bulle décrite dans le premier paragraphe, un exemple de ce qui rend les productions Ghibli particulières. D'ailleurs, on a même un dialogue de cinq minutes spécial écolo, greffé un peu maladroitement sur le récit et probablement posé là pour faire plaisir à Hayao Miyazaki - s'il ne l'a pas casé lui-même vu qu'il a supervisé le projet. Insérez ici une courte diatribe sur l'absence de véritable succession aux fondateurs du studio, déjà démontrée par Terremer.

Puis paf, seconde moitié du film, où la production se rappelle que le film est adapté d'un récit anglais qu'il va bien falloir narrer. La bulle Ghibli éclate et tout part en couille. Quand vous serez dans la salle, dès que vous voyez un corbeau, vous saurez que vous avez atteint ce point de non-retour où vous allez serrer les dents pendant le reste de la projection. Car soudainement, la gentille mémé devient une mégère sadique, qui poussera le vice jusqu'à verrouiller le jeune garçon dans sa chambre. Les sages chapardeurs deviennent nuisibles, le monde extérieur se rappelle à notre bon souvenir, et il y a même un raton laveur avec des yeux sanguinaires. Tout cela d'un coup, sans trop savoir pourquoi. Shrek cessait d'être drôle au moment précis où la princesse Fiona était sauvée, Arriety cesse d'être onirique avec la même exactitude, le même moment où tout fout le camp.

Paragraphe en italique sur le semi-hors-sujet : le "fan abuse". Terme d'internaute qui désigne à présent l'exploitation commerciale abusive d'une licence ou d'un personnage, mais qui avait originellement été inventé pour qualifier la destinée de la pauvre Asuka dans The End of Evangelion, où les fans de la rouquine avaient reçu un violent coup de pied dans les gonades signé Gainax. A présent, je parle de "Pixar abuse", puisque ça leur arrive parfois de jeter un peu trop d'adversité à la gueule de leurs héros, au point que mon cerveau déconnecte. Dans Monstres et Cie, bannir Sully et Bob, okay. Les faire sauter au-dessus du vide entre des portails interdimensionnels en protégeant une enfant et poursuivis par un ennemi doté de tentacules, pas okay. Dans Là-Haut, un enfant et un vieillard poursuivis par des chiens, okay. Par des chiens en avions de chasse alors qu'ils sont suspendus au-dessus du vide, pas okay. Tout ce paragraphe pour dire qu'après une première moitié de film aussi planante, Arriety maltraite ses spectateurs en montrant un enfant cardiaque emprisonné et qui en est réduit à passer par la fenêtre, donc ouais, c'est qualifiable par "au-dessus du vide". Pixar abuse droit devant, capitaine, la suite du film s'annonce choquante.

Exelen s'était sentie déprimée et mélancolique après la projection, mais ce n'est pas du tout mon cas. Pour toutes les raisons exposées plus haut, qui m'ont plus laissé désenchanté qu'autre chose. Mais aussi parce que je suis allé voir le film en avant-première (sortie nationale la semaine prochaine) avec la Brigade SOS, en présence du réalisateur Hiromasa Yonebayashi et de la compositrice Cécile Corbel. Certains haruhistes n'ont pas su respecter l'artiste en voyant que cette dernière a eu l'outrecuidance d'interpréter le thème d'Arriety sans avoir rameuté un orchestre entier dans le cinéma et donc osé faire du play-back, ce qui est assez regrettable - les insultes, pas le playback. Cependant, ce fut l'occasion d'entendre le réalisateur observer, au-delà de la supervision, l'omniprésence de Miyazaki sur l'ensemble du projet, M. Yonebayashi s'auto-réduisant presque à un réalisateur technique de ses volontés. Ainsi, dans son mode de production, Arriety se rapproche davantage du Royaume des Chats (autre film pondu par une équipe "novice", s'il en est, dans le studio) que de Ponyo, qui tient du grand délire Miyazakien, débridé au sens le plus pur du terme - il a fait ce qu'il voulait et il s'est bien foutu de savoir si le résultat serait regardable/rentable/compréhensible.

Bonus : durant cette même avant-première, un crétin avec une peluche a posé une question débile au réalisateur - ou comment une porte fermée à clé s'ouvre magiquement 20 minutes plus tard.

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