Alors là, grosse surprise.

Il y a deux ans, Canal Plus s'était attaqué frontalement à tf1, ses séries policières franchouillardes à la Navarro/Cordier/Julie Lescaut en conçevant Engrenages, soit 8 fois 52 minutes de vrai polar qui met pas à l'aise. En ce moment, la deuxième saison est en cours de diffusion, avec toujours le même principe : une intrigue principale avec des méchants recherchés par quelques personnages avec leur part d'ombre, tout ça. L'avocate arriviste (jouée par Audrey Fleurot, la deuxième plus belle rousse du PAF après Julie-Marie Parmentier), la fliquette dépassée, le procureur naïf - pensez à Boomtown. Le tout aéré par de petites affaires du quotidien, avec les femmes battues, les mythos et le reste.

Voilà pour le résumé à l'attention de ceux qui ne matent pas, soit l'intégralité du lectorat (vous). Si j'en parle, c'est parce que l'épisode 5, diffusé tout à l'heure, s'ouvre sur un ado, oreillettes d'iPod bouchonnées et armé d'un fusil qui fait un carton dans les rues parisiennes. Il ne tue personne, il ne fait que tirer sur des vitres. Sauf que voilà : le tout est filmé avec la caméra montée sur le fusil, nous donnant le point de vue de la ligne de mire. Ou plus précisément, comme dans un FPS, canon bien au milieu comme dans DooM. Quand les flics le maîtrisent, ils lui virent les oreillettes et la musique techno en fond sonore s'interrompt immédiatement, style "éveil brutal hors du fantasme".

Et là, on se met à soupirer lourdement, anticipant ce que la télé nous fait comprendre depuis des décennies : le jeune rendu violent par les jeux vidéo. Pendant le reste de l'épisode, le bonhomme dira un grand total de trois mots, pendant que les poulets enquêteront : élève moyen, sans histoires. Perquisition dans le domicile familial : à la porte de sa chambre, un tableau blanc. La maman explique que le fiston y écrit ce dont il a besoin afin qu'elle ne rentre pas - le procureur ironise en disant que c'est pas un fils, c'est un locataire. Hikkikomori, quoi. La chambre : quelques grosses armes blanches, genre lance et masse d'armes. Rôliste. Ordinateur protégé par mot de passe. Geek. Après avoir fait sauter la protection, le policier fouille "les conversations MSN", et constate qu'il est abonné "à plein de sites où ils parlent que de s'entretuer" - mon oreille se dresse quand il cite nommément Steam. A ce stade, je suis enfoncé au plus profond du canapé, anticipant la conclusion stéréotypée et inévitable.

Les flics trouvent des cartouches pour le fusil à pompe, mais il en manque quelques-unes. Ils trouvent un log de discussion, et retrouvent (en trois secondes chrono) le nom et l'adresse du parigot qui se cache derrière le pseudonyme. Perquisition bis, et ils tombent sur le machabée d'une jeune femme, farcie aux pruneaux qui manquaient dans la chambre du nolife cité plus haut. Comme ça pue, un flic ouvre la fenêtre, puis ils ramènent le jeune homme pour lui faire cracher le morceau, que lui et mademoiselle s'étaient rencontrés par le net, mais que la rencontre IRL s'était mal passée et qu'elle avait voulu tout arrêter, monsieur revenant aussi sec avec son gun avant d'aller faire du shoot dans la rue pour noyer son chagrin. Sauf que les flics n'ont pas le temps qu'il passe aux aveux, occupé qu'il est à profiter d'un moment d'inattention pour se jeter par la fenêtre ouverte quelques lignes plus haut. Affaire classée, la fliquette épiloguant sur le "gâchis" de ces deux jeunes vies.

Et c'est là que je réalise la grosse surprise de l'ouverture de ce texte.

C'est comme quand on passe sa vie à voir les mêmes films avec les mêmes séquences de hacking pourri, avant de tomber sur un exploit SSH et sniffing de ports dans Matrix Reloaded. Pour une fois, pour une seule fois, le droit à un traitement juste. Le garçon est un geek rôliste/FPS/nolife, mais il ne dévie pas (ne devient pas fou) à cause de cela. Ce n'est pas une cause ou une raison, mais une caractéristique, un signe distinctif. C'était un jeune geek, pas l'inverse ; un geek mort parce qu'il était jeune, pas l'inverse. L'histoire aurait été identique avec un porteur de survèt' à capuche ou une victime de la mode. Alors, pourquoi ont-ils choisi un geek ? Précisément parce que ça n'aurait rien changé, et parce qu'il s'agit de jeunes comme les autres, avec les mêmes espoirs et les mêmes tristesses. Ce n'est pas un stéréotype, et on y croit. Alors pour le coup, on est tellement étonné de ce traitement qu'on a du mal à y croire.