A ma gauche, le Comte de Monte Cristo, écrit par Alexandre "Les Trois Mousquetaires et mes nombreux nègres" Dumas. A ma droite - ou plutôt, à l'Est- , le Japon. Envoyez l'un dans la gueule de l'autre à une vitesse d'environ 253 km/h et vous obtenez Gankutsouou. Autrement dit, un remix nippon d'un pavé de la littérature française dont la couverture est affublée depuis quelques années de la bouille de Depardieu. Précisons: un remix cyberpunk, avec des vaisseaux spatiaux, des rave parties et des lumières qui font mal aux yeux. Pondu par le studio Gonzo (qui bosse aussi sur l'anime HellBoy, joie), réalisé par Maeda Mahiro (Blue Submarine n°6 et les deux épisodes de la Deuxième Renaissance dans l'Animatrix), mis en musique par un français, narré du point de vue d'un personnage tout à fait secondaire dans le roman original. Sur le papier, ça commence un peu mitigé, n'est-ce pas?

Commençons par une séance de rattrapage pour les gens qui n'ont pas lu le bouquin (ou pire, sont passés par le téléfilm). Militaire trahi par ses pairs, arrêté le jour de son mariage, jeté en prison où il rencontre un vieillard qui lui confie l'emplacement d'un trésor avant de mourir. Le héros s'échappe, met la main sur le jackpot, refait surface sous le nom de Monte Cristo et bien déterminé à se venger de ceux qui lui ont pourri la vie. C'est là que je fais le lien avec l'anime: il aide un jeune aristocrate le vicompte Arthur de Morcef - qui est le fils de la femme qu'il devait épouser (Mercédès), cette dernière s'étant remariée... avec un pourri de première qui a obtenu sa richesse en faisant des choses pas très catholiques. C'est bon jusque là, j'ai perdu personne? Monte Cristo, devenu comte, pénètre la jet-set de Paris pour préparer sa vengeance en fouillant le passé de ses ennemis. Il leur pourrira la vie un à un; par exemple, il poussera au suicide le mari de son ex-fiancée. Voilà voilà. Gankutsuou nous conte donc la vengeance de Monte Cristo vue par le jeune Arthur de Morcef, le garçon qui l'aidera malgré lui à foutre le boxon et à "suicider" son père. Moi je dis, cool.

Je crois que tous ceux qui parleront de cet anime seront amenés à parler du style graphique: voici donc le paragraphe obligatoire en la matière. Gonzo a choisi d'appliquer des textures - assez baroques au demeurant - pour les vêtements ou les cheveux. Franchement dépaysant au début: vous vous souvenez des costumes à rayures dans Tintin? Le motif écossais était tracé à la règle et restait parfaitement parallèle malgré les mouvements des personnages d'une case à l'autre: un des grands mystères de la vie en ce qui me concerne. On a la même chose ici, mais les textures bougent avec la caméra ou quand un personnage se déplace. Bizarre, je vous dis. Mais aussi bougrement efficace: aucun aplat de couleur, des robes sublimes, du relief dans les chevelures comme on en voit rarement - d'autant plus paradoxal qu'on ne voit pas les mèches puisque les surfaces ainsi décorées n'ont pas d'autre trait! Regardez un peu les designs sur le site officiel pour vous faire une idée.
Pour le reste de l'univers, c'est donc un joyeux melting pot. Un futur assez coloré, dont les unions insensées des époques font penser à Cowboy Bebop... ou au Cinquième Elément. Oui, moi aussi je pensais pas que je citerais un jour ce film comme exemple. Mais l'influence sur les auteurs est clairement visible: dans le premier épisode, Monte Cristo fait son entrée dans un opéra alors qu'on entend la Lucia di Lammermoor! Sauf que contrairement à Besson, la cantatrice ne part pas dans un délire technoïde vomi par Eric Serra; au moins, le Japon a compris que mettre du classique dans un space opera était suffisamment cool en soi pour qu'on ne pas avoir à faire le kéké sur un synthé Bontempi. En voyant certaines femmes, j'ai aussi eu une pensée pour la "Princesse Insensible", un court-métrage en 13 épisodes de 4 minutes (réalisé par Michel "Kirikou" Ocelot) qui passait au milieu des années 80 sur Antenne 2 - ça nous rajeunit pas tout ça.

Le deuxième gros point fort de Gankutsuou est quand même la prouesse de bien raconter le roman de Dumas d'un point de vue différent. Même si ça peut sembler bizarre, pensez à Big Trouble In Little China de John Carpenter: même si Kurt Russel est le héros, le film suit son acolyte. A l'origine, l'histoire c'est "Monte Cristo est de retour, et il est pas content"; vengeance, coups de pute à répétition, ça va décalquer dans la soie. Maintenant, on suit un pauvre type manipulé qui va se faire broyer par notre comte, du coup devenu le méchant de service. Et qu'il est beau dans ce rôle: une sorte d'Alucard, monstre qui porte de gros chapeaux et qui sait faire les gros yeux pour montrer qu'il faut pas le faire chier. La scène de la guillotine ou l'arrivée chez les ravisseurs sont exemplaires.
En bref, la surprise de ce début de saison: graphiquement décalé, scénaristiquement aux petits oignons, génériques tip-top, habillage SF aussi bien assumé que le fantastique Cowboy Bebop... Ca commence très bien pour Gankutsuou, qui mérite donc qu'on passe outre l'idée - reçue - sur le papier, faisant penser à un Alexandre Dumas faisant un salto arrière triple Lutz double vrille piquée dans son caveau. Reste à savoir si ça va tenir ses promesses, ou en voyant plus loin, l'accueil qui lui sera réservé lors de sa sortie officielle chez nous. En attendant, à voir!



Post Scriptum: Au fait, je suis le seul à avoir repéré le nom d'Ilan Nguyen (journaliste chez AnimeLand, commentaire audio du DVD Tonari No Yamada-kun chez TF1 Vidéo et orga du forum des Nouvelles Images du Japon) en tant qu'interprète dans le générique? Parce que c'est quand même bizarre d'avoir des français dans l'équipe et de laisser la voix japonaise de Monte Cristo prononcer les phrases (en français!) au début de chaque épisode; je sais, la continuité avant tout, mais bon...