- Voilà, c'esf fait.
- Quoi ?
- J'ai la photo de Kéké.
- Kiki ?
- Nan, Kéké.
- Mais c'est kiki ?
- Très drôle. C'est un clébard dans Animal Crossing. Un chien qui joue de la guitare chaque samedi soir dans ta DS. Tu peux récupérer les enregistrements de ses concerts pour les écouter dans ta maison.
- Et t'as sa photo ?
- Ouais. UKResistance, qui a peut-être la sauvegarde la plus complète du jeu de ce côté du Pacifique, décrit la démarche à suivre pour avoir cette photo comme "l'équivalent de ramper sur du verre pilé pendant 800 kilomètres à la seule force des paupières". Et je l'ai.
- Mais à chaque fois qu'on joue à la DS, tu avais la carte dans ta console.
- Ouais. C'est tout simplement le seul jeu DS auquel je joue. Je ne retire même pas la cartouche pour jouer à autre chose, ça m'économise l'effort de la recaser dans quelques heures puisque je vais y rejouer. J'ai acheté Children of Mana, mais j'ai laissé tomber après avoir réalisé que l'exploration passionnante du monde des épisodes précédents était remplacée par un gameplay à la Diablo 1 avec UN village et plein de donjons. J'achète des jeux DS que je ne touche même pas parce qu'il y a Animal Crossing. Je n'ai même pas fini New Super Mario Bros parce que quand je joue à la DS, je joue à Animal Crossing.
- Pourquoi ? Pourquoi tu y joues ?
- C'est la question à un million d'euros, ça. Si j'écris autant sur ce jeu, c'est précisément pour essayer de savoir ce qu'il a de si attirant. Je sèche sur la question depuis des mois, et en attendant de trouver une réponse, je m'amuse à ajouter des poncifs de japanime dans les dialogues du jeu.



- Tu sais, je me pose la même question avec WoW.
- Dans World of Warcraft, tu as un facteur humain, social, qui peut aisément te retenir. Dans Animal Crossing, le multi a vraiment été pensé et contient des tas d'idées géniales, mais il reste au second plan. L'attirance tient uniquement au gameplay.
- Le gameplay, tu parles de ces parties où tu passes ton temps à aller vendre des fruits en boucle pour rembourser le prêt sur ta maison contracté auprès du raton laveur local ?
- C'est ça qui est dingue ! Le farming, c'est une mécanique de MMO !
- Ou plutôt, de RPG.
- En effet ! Parmi les mécaniques les plus chiantes du genre ! Et c'est dans AC !
- ...
- Et le pire, c'est qu'il n'y a aucun encouragement "numérique" dans AC. Pas de niveau à augmenter, l'argent n'est pas un indicateur d'avancement, le seul menu qu'on utilise, c'est l'inventaire... Tout est suggéré. Tu sais que tu as atteint tel "niveau" avec un personnage quand il te parle différemment, ou quand il te lance un défi, ou quand--
- Ou quand il t'offre sa photo.
- Voilà. Ou quand une des jolies chattes du village se comporte en parfaite petite maid.



- En fait, AC est passionnant parce qu'il n'y a pas de défi. On ne perd jamais une partie, on n'éteint jamais la console avec une impression de défaite. Quand le jeu te "punit", tu sais parfaitement pourquoi, et c'est parce que tu as voulu jouer au con en essayant de mentir à un perso ou de tricher avec le mécanisme de sauvegarde.
- Alors, c'est un jeu pour, pour... petits joueurs ?!
- Ben non. Déjà, ça m'étonne, mais dans les boutiques de jeux vidéo, même les vendeurs me regardent jouer avec curiosité à ce titre qu'ils ont vendu par palettes entières sans y avoir touché ou fait la moindre promo. Des tas de gens que je croise devinent le nom du jeu, ce qui me laisse croire que la pub a fait son boulot... Ou encore, quand un autre passager de transport en commun lit certains dialogues riches en sous-entendus.


Photo prise un premier samedi du mois.


- Nintendo oblige, il y a des milliards de trucs à faire, de sorte qu'on n'en voit jamais la fin. On le voit bien, qu'une majorité du contenu est générée aléatoirement... Mais on continue, pour voir quelles surprises la cartouche peut encore cacher.
- Je suis un nolife à WoW, tu es un nolife sur un jeu solo au contenu généré aléatoirement.
- Ouais. Sans fil conducteur réel, à la narration décousue d'une histoire qui n'existe pas (la petite vie quotidienne d'un bled paumé), on a au moins l'impression d'avoir son mot à dire, d'influencer le déroulement du jeu. On est à des années-lumière des RPG qui forcent le joueur à rentrer dans le carcan scénaristique sous peine de bloquer l'avancement de la partie. En soi, le déroulement d'Animal Crossing est similaire aux délicieuses errances dans les rues de Shenmue. Dans ce dernier, l'univers était envoûtant par son ultra-réalisme, et on se perdait dans le détail masochiste apporté aux ruelles de Yokosuka. Mais cet habillage de luxe était secondaire, il restait un soutien à l'histoire : parce qu'on s'y croyait, on s'investissait d'autant plus dans l'aventure de Ryo Hazuki. Mais rien n'empêcher d'envoyer bouler tout ça et de rester à collectionner les jouets dans les bornes d'arcade après avoir nourri son chat et fait un peu d'argent de poche... Dans Animal Crossing, ce challenge technique de recréer "un petit monde qui vit tout seul" devient le concept principal. Il était déjà enivrant dans Shenmue, il vire ici à l'addictif.
- Et tout comme Shenmue, le fruit de tes efforts n'est pas représenté en nombres mais par un feedback du jeu. Si tu as bien joué, le train-train quotidien est agité par un petit évènement pour te féliciter d'avoir atteint un certain niveau.
- Je crois que je me répète, mais Animal Crossing est mon WoW à moi - et portable en plus ! Il y a toujours quelqu'un avec qui jouer, jamais de mauvais joueurs puisqu'ils sont tous digitaux et que les humains se limitent à votre liste de potes certifiés. C'est un pur morceau d'auto-satisfaction instantanée, un shoot de dopamine à un prix défiant toute concurrence, qui ne te fait jamais douter et est toujours là pour toi. Voilà, je crois que c'est pour ça que j'y joue.


J'ai une hache à portée de main. Ne me cherche pas des noises.