"Quoi ? Qu'est-ce que cette vieille peau vient de sortir comme sujet de rédaction foireux ? Purée, vivement que la matrice qui vient de se faire inséminer et qui me servait de vrai prof de français se ramène vite fait."

Classe de quatrième. La prof remplaçante était une poujadiste de dernière zone qui décrivait son logement comme "une petite maison avec un ruisseau coulant pas loin" - je n'avais aucun mal à l'imaginer avec une peau d'ours sur le dos et M. Néanderthal en guise de mari. Un matin où sa baby-sitter était dépressive, elle ramena son môme en classe. En petit comité, le garçon nous dévoila deux grands secrets : primo, "les jeux vidéo rendent fou", et secundo, "ma mère est folle". Lien de cause à effet ? J'en ai trouvé un, d'ailleurs: mes notes se sont mises à baisser à partir du jour où elle m'a fusillé du regard dans la cour de récréation parce que je lisais un magazine de jeux vidéo... Cette poufiasse m'énervait tellement que je crois que c'est à cette époque que j'ai réalisé l'existence de monsieur Mur. L' "autre" prof de français, elle, était donc en congé de maternité ; récemment, elle a sorti un roman où elle raconte la vie d'une femme qui devient folle amoureuse d'un mec qui l'entraîne dans toutes sortes de déviations sexuelles, du masochisme à l'exhibitionnisme en passant par l'urologie. Le livre se termine avec un post-scriptum de l'auteure : "c'est un peu mon histoire".
En attendant le retour de cette prof que j'ignorais nymphomanico-détraquée (purée, mais c'est la période des expressions alambiquées ou quoi ?), je devais donc subir une attardée alors que je venais de finir Tomb Raider et que la puberté faisait de moi une hormone géante dotée de mains pour jouer et d'un pénis pour penser. La semaine d'avant, je revenais de Paris où j'avais visité la "Tête dans les Nuages", la salle d'arcade géante tout fraîchement inaugurée. Avec la cabine montée sur vérins où l'on entrait à 8 et où l'on était accueilli par le capitaine Michael Jackson, et le R360. Nom de Dieu, le R360 : AfterBurner comme vous n'y aviez jamais joué. Sur mon premier run, j'avais établi le record de la journée avec 42 shot down et sans me planter comme une merde sur le porte-avions à la fin. Tel le cerveau des Shadoks qui n'a que 4 cases, le mien avait 3 cases dédiées à ce souvenir tout frais. La dernière contenait le sujet de la dissertation refilée par l'erreur de la nature qui me servait de prof de français remplaçante, parce qu'il faut bien rester un peu professionnel.

Oui, j'ai écrit ma partie d'AfterBurner, et la rédaction se terminait en me montrant descendant du cockpit pour revenir dans la salle d'arcade. J'avais même mis une note dans une marge pour expliquer rapidement les initiales "H.U.D." Les autres avaient bouclé leur texte en se réveillant, vieux cliché de "tout cela n'était qu'un rêve", et moi, ben, ce n'était qu'un jeu vidéo. SURPRISE ! AVENTURE ! ACTION ! Et pas une faute d'orthographe ou de grammaire, pauvre mégère ménopausée ! Ce n'est peut-être pas la perfection scénaristique, mais cette rédaction aura sans aucun doute des conséquences inébranlables sur le sacro-saint Bullletin Trimestriel !



Bien.

Lectorat adoré, tu réalises bien que je suis dans une situation moyennement agréable en te montrant ce document évidemment 100 % authentique et personnel qui doit malgré tout te laisser perplexe et rigolard. Mais, mesdames mesdemoiselles messieurs les membres du jury, je suis en train de réaliser qu'il s'agit peut-être du plafond absolu de l'otakisme. Toutes les collections débiles, les conventions lointaines, les efforts inutiles, sont probablement bien futiles si personne ne réalise combien vous êtes à fond dans votre passion. Ce bulletin de notes est un document officiel, national et administratif qui certifie que je suis sérieusement atteint. Soit, personne d'autre que cette dégénérée congénitale de remplaçante n'aurait jamais osé l'écrire noir sur blanc, mais force est d'avouer que l'acte est là. Existe-t'il preuve plus universelle que cela ? A part être convoqué dans le bunker présidentiel hébergé sous l'Elysée alors que toutes les alarmes sont au rouge puis accueilli par un général bardé de médailles qui s'avère être votre père caché et qui vous dit "Seb, le monde a besoin de toi ! Pilote ce robot géant et va combattre ce monstre !", je ne crois pas. Le jour où j'ai obtenu ce document, j'ai peut-être simultanément touché le plafond de l'otakisme (via le bulletin) et le fond de la connerie humaine (via la prof remplaçante). Tu parles d'une aventure...