Quand l'Internet était encore en train de faire caca dans ses couches, le monde du logiciel avait inventé le concept de la démo, puis du shareware. On offrait un bout de soft pour montrer ce qu'il avait dans les tripes avant de vendre la version complète. Sur Amiga ou Atari, les démos étaient déjà proposées dans des disquettes de magazines ou sur des BBS, le système ancêtre du Web et du FTP. En France, le 36 15 Joystick proposait carrément de relier son minitel à son Amiga pour télécharger les démos ! Ce "premier contact" avec les jeux était évidemment précieux pour les développeurs, et il l'est toujours - l'équilibre des armes ou les bugs sont souvent fignolés avant la version définitive grâce au feedback des joueurs.
Mais les démos, c'est en voie de disparition. id Software, qui a popularisé le concept avec Doom, n'a sorti de démo de Doom 3 qu'une fois le jeu dans les bacs. Et quand un studio en sort une, il parle de "beta", pas de démo. Sûrement par fierté mal placée, ou plus prosaïquement, pour pouvoir facilement dire que "si ça rame ou plante sur votre bécane, ben c'est normal c'est une beta, que ça vous empêche pas d'acheter le jeu complet hein, lui il tournera sûrement sans problème chez vous". Dans le cas d'un MMO, c'est encore mieux : il s'agit de betas qui n'en sont pas et de démos qui n'en ont pas le nom. Ou l'inverse : le code qui a fini sur les disques d'Everquest 2 mis en vente pile au moment de la beta de WoW était clairement loin d'être terminé. Mais dans l'ensemble, des jeux restent à l'état de "beta-test" pendant des mois. Comme si les développeurs avaient les yeux rivés sur les stats des serveurs en attendant que le nombre de joueurs réguliers (et donc, d'acheteurs potentiels) atteigne une masse critique pour couper la prise de la gratuité et espérer rentabiliser leurs efforts avec la vente du jeu. Car même s'il est parfait mais qu'il n'y a qu'une poignée de joueurs, à quoi bon errer dans un jeu désert ? Et comment se faire de l'argent si trop peu de gens y jouent ?

En même temps, faut dire que les développeurs de jeux massivement multijoueurs sont paresseux. Dans la FAQ, la question de l'abonnement est ainsi répondue avec un texte et une tarification similaires à tous les jeux. On achète une boîte (toujours ça de pris si le gars ne s'abonne pas pendant des mois), on paie 10 € par mois, emballez c'est pesé. La pratique orientale consistant à offrir le programme client fait son chemin vers l'Ouest, mais c'est encore marginal et l'abonnement d'au moins 10 pétrobrouzoufs est immuable. Ca exclut tout de suite les "casual gamers", qui n'ont pas spécialement envie de payer aussi cher pour quelque chose qu'ils ne toucheront sûrement que pendant les week-ends ou lorsque les copains sont motivés. Ou ceux qui sont déjà sur un autre MMO, parce que bon, c'est comme payer deux abonnements pour deux téléphones portables, non ? Pourquoi la recherche de nouveaux business models est-elle au point mort ? Les exceptions sont rarissimes : Guild Wars qui s'est vendu à plus d'un million d'exemplaires avec un système pas-si-massivement-multijoueur-que-ça (permettant d'économiser sur les factures de serveurs), les Pangya et autres jeux (souvent asiatiques) qui se rémunèrent sur des achats optionnels, et c'est à peu près tout. En ce moment, World of Warcraft truste le principe éculé de l'achat boîte+abonnement, et à peu près tous les jeux qui parient encore sur ce modèle (soit 99 % des MMO) finissent dans le mur.

Tout à l'heure, je disais que certains de ces titres destinés à finir dans ledit mur restaient en beta-test pendant des mois. Face of Mankind est quand même assez fort, puisque mon accompte a été créé en janvier 2005 (la FAQ parle encore d'une sortie en septembre 2004 !). Il est très régulièrement patché, avec d'importantes modifications dans le monde ou l'interface. A force, ça représente quand même beaucoup de travail (3,5 Go sur le skeudur quand même), et je me demande bien comment les programmeurs font pour encore avoir à manger dans leur frigo... En tout cas, il ne s'agit clairement pas d'une beta. Parenthèse pour les non-informaticiens : quand un programmeur et une page de code s'aiment beaucoup, ils donnent naissance à un logiciel. Ce dernier passe par plusieurs étapes de croissance, durant lesquels il découvrira son organisme et le monde qui l'entoure : quand il sera exécutable, on parlera de version test. Quand il sera utilisable de 0 à 1 sans planter, ce sera une alpha. Et quand il sera considéré comme stable, il deviendra une beta. Après, y'a les release candidates juste avant la version finale et les cycles de mise à jour après diffusion, mais j'ai pas envie de vous lourder avec ça. Fin de la parenthèse qui était là pour expliquer que quand on a une beta, on parle d'un programme considéré comme fini par ses auteurs, et qu'on lâche dans la nature pour l'essayer sur un maximum d'ordinateurs ou voir si les serveurs tiennent la charge. Mais Face of Mankind ne ressemble plus du tout à ce que j'ai tripoté il y a plus d'un an - en fait, même Michael Jackson n'a pas connu autant de changements. On commençait dans un vaisseau spatial, on doit à présent se taper un tutorial chiant comme la pluie ; l'interface était carrée et minimaliste, elle dispose maintenant de deux modes interchangeables avec la touche Escape ; les serveurs étaient déserts, et ils sont toujours aussi vides.



Une partie typique de Face of Mankind commence dans votre appartement. Il est looké suivant la ville de départ sélectionnée à la fin du tutorial. Entre autres, Tokyo, Paris, New York... Forcément, j'ai hésité entre un réflexe chauvin et prendre un appart' français, ou un réflexe d'otaku glaireux en prenant une piaule nipponne. Devinez lequel a gagné... Pour ceux qui tiendraient à le savoir, mon personnage a été créé en s'inspirant d'animes hentai. Vous pouvez aussi voir un ordinateur, qui était inutilisable pendant des mois. En fait, tout le jeu a été inutilisable pendant des mois : j'étais renvoyé dans Windows, le lag tapait à 3 secondes en moyenne ou on m'accusait d'utiliser un hack d'invisibilité. Cet appartement est la seule chose que j'ai pu voir pendant l'hiver 2005.



Une fois qu'on a quitté son plumard, on rejoint un monde massivement multijoueur, pouvant accueillir des milliers de personnes ! FoM propose des missions de toutes sortes : on peut se concentrer sur l'économie en manipulant la bourse ou les prix de ressources pour le compte de sa faction, on peut utiliser des armes... Enfin, je dis ça, parce qu'il y a des terminaux publics dédiés à l'économie ou à l'inscription pour des missions, sauf que sous prétexte que j'ai créé un combattant, je ne peux même pas réaliser des tâches financières simples. Un des "points forts" du jeu est l'importance des missions créées par les joueurs (ou comment faire vivre un jeu en sucrant les maîtres de jeu), mais comme vous pouvez le voir, ce jeu est désert.



Voici les rues de Paris, aussi désertes que celles de Tokyo. Il m'est arrivé de courir comme un dératé pendant au moins dix minutes avant de réaliser que je n'étais pas dans une instance, mais bel et bien seul sur le serveur. C'est un vieux trip de film de science-fiction ou d'horreur, ça, le gars qui est le seul survivant de la race humaine, se promenant dans une ville déserte. Tous ces films nous montrent le type qui en profite un peu en se servant dans les magasins ou Homer Simpson dansant à poil dans l'église sur la musique de Small Soldiers. Sauf qu'en fait, je peux vous dire que ça devient vite assez chiant. Gag : marcher sur les plate-bandes de pelouse fait des bruits de pas métalliques en "clang clang" mineur.



Ca, c'est la Tour Eiffel. Chaque pied est séparé d'une vingtaine de mètres, elle est coincée entre quelques petits immeubles et il y a un lac artificiel en-dessous. Il est impossible de la voir au-dessus des immeubles si on est pas sur cette "place de la Tour Eiffel", trop petite pour qu'on puisse la voir correctement - mais malgré la perspective, on voit bien qu'il n'y a rien au-dessus du deuxième étage... alors qu'elle est "entière" sur les documents du jeu. Limitation technique ? Sans doute. Les limitations techniques sont partout : on se souvient tous d'une interview de développeur qui dit "la machine était pas assez puissante pour ça" mais jamais de "cette machine est si rapide qu'on a eu aucun problème à faire notre jeu". Mais tout le sel d'un jeu bien fait, c'est de cacher ces problèmes du joueur, pour qu'il s'immerge dans votre univers en oubliant qu'il a affaire à un programme qui tente de faire du mieux qu'il peut. Là, ça transpire par tous les pores : c'est moche, c'est petit, c'est ridicule. Comment peut-on être assez con pour prétendre reproduire quelque chose d'aussi maousse que la Tour Eiffel en voyant bien que les moyens ne suivent pas pour que ce soit convaincant ? Si jamais FoM sort de son état de beta pour finir sur une étagère, j'ose croire que cette zone aura disparu du jeu final. Mieux : que le reste du jeu disparaisse aussi.
La ville de Paris est apparue en téléchargement payant dans Project Gotham Racing 2 sur Xbox, mais elle n'est pas revenue dans PGR3 sur 360 pour les sempiternels problèmes de droits d'image (faut dire que c'est 'achement bien détaillé pour les enseignes de magasins, l'enfer pour les avocats de Microsoft). Dans FoM, aucun problème de ce genre, vu que ça ne ressemble à rien.



OMFG ! UN AUTRE JOUEUR ! A chaque fois c'est pareil, y'a un effet de surprise. Et s'il ne vient pas de moi, le gars de l'autre côté doit pousser un cri en voyant qu'il n'est pas dans une instance ou dans une zone "offline"... C'est contagieux à l'avatar, d'ailleurs : le type était en train de courir comme s'il savait où il allait, et dès qu'il m'a vu, clac ; il s'arrête net, se met à tourner en rond, fait demi-tour... On aurait dit un pervers à l'entrée du vestiaire des filles. Enfin, l'interface du jeu est suffisamment complexe pour décourager les kevins, ce ne sont pas des missions à base de déclenchement de crashs boursiers qui vont les attirer, et les jeux en beta sont si nombreux qu'ils ont sûrement mieux à faire que de squatter Face of Mankind...



Ou pas.



Voici l'Arc de Triomphe. Il est également coincé dans une ruelle pourrie, et tout aussi désert que les autres zones. Ca n'a rien à voir, mais j'en profite pour remarquer que le jeu tourne avec le LithTech engine, le moteur 3D maudit de Monolith Productions (aucun lien de parenté avec Monolith Software, bande de Xenoglaireux). Quand Monolith utilise son propre moteur, il pond des bijoux comme No One Lives Forever, Shogo M.A.D. (love), Alien VS Predator 2, F.E.A.R.... Et quand ils licencient leur moteur à d'autres, le résultat est systématiquement dégueulasse, genre Face of Mankind ou Die Hard Nakatomi Plaza (quelle nostalgie, un des tous premiers articles de l'éditotaku).



UN PNJ ! W00T ! Sur le bar au sommet de l'Arc de Triomphe, il y a ce barman. On appuie sur la touche d'interaction, notre perso dit bonjour, il répond bonjour. On recommence, rebelotte. Heu, on peut pas acheter de boisson ? Non. On peut lui parler pour apprendre les dernières rumeurs, comme dans tous les RPG publiés de ce côté de la galaxie ? Non.



La vue depuis la terrasse du bar. Bien sûr, elle ne correspond pas à ce qu'on voit depuis la Tour Eiffel. Nom de nom, pourquoi est-ce que les gens les plus incompétents se fatiguent tous à faire des MMO ? Est-ce qu'il suffit d'avoir un moteur réseau et un cluster de serveurs pour s'autoproclamer massivement multijoueur et espérer raquer mensuellement une dizaine d'euros par tête de pipe ?



Ne me force pas à me répéter.