Les jeux vidéo qui se font attendre, c'est toujours une relation bizarre. Vous nouez une relation simple avec eux, puisque vous savez que vous ne pouvez pas y jouer et que vous avez mieux à faire que d'admirer la défragmentation de votre disque dur en poireautant. Jusqu'au jour, parfois vraiment lointain, où le titre atterrit dans les linéaires. Et là, c'est un peu le choc : contrairement à l'effet voulu par toute la hype générée par l'éditeur, on se retrouve à snober la boîte au lieu de se jeter dessus. Tu étais inaccessible, et maintenant tu te laisses même tripoter par les gamins dans les magasins ? Notre lien spécial s'arrête là, chéri. Tout ceci est évidemment inconscient, mais le résultat ressemble à peu près à une tronche d'ahuri au milieu des étagères du magasin - je devais ressembler à un épluche-patates le jour où je suis resté planté dans la Fnac dix minutes sous le choc d'un mur entièrement composé d'exemplaires de Dungeon Keeper. Au lieu de le prendre, je suis rentré à la maison et ai contacté mes potes pour leur annoncer la sortie. Après quatre années de vaporware, on ne savait pas comment réagir.

Fahrenheit est sorti, et le buzz me semble un peu trop intensif pour être honnête. Essayez vous-même la démo : personnellement, je trouve quand même qu'il n'y a pas de quoi s'extasier devant des pointeurs "invisibles" déterminant la suite de l'aventure ou devant les Quick Time Events inventés par Shenmue et déjà utilisés à la perfection dans Resident Evil 4. Et si on réfléchit un peu, le fantastique Clock Tower (encore lui) contenait déjà tout ça, entre sa dizaine de fins et son bourrinnage de boutons pour sortir Jennifer d'une mauvaise passe.
Fahrenheit, c'est aussi l'un des articles fondateurs du site que vous lisez, vieux de cinq ans. Le document est trouvable dans la section "Articles", à gauche de l'éditotaku quand vous entrez. Non, pas de lien : je n'ai pas relu ce texte depuis sa lointaine écriture, et je préfère m'en abstenir pour garder l'illusion que le niveau a un tant soit peu monté avec le temps. En plus, je n'oublie pas une nouvelle de Maupassant (I ♥ Maupassant) où un mec se suicide parce qu'il retrouve dans l'indicible bordel de son bureau un mot pour la fête des mères qu'il avait écrit étant gamin : dépression flash --> Death Note (pas celle du manga éponyme mais juste tout ce qu'il y a de plus traditionnel) --> balle dans la tête. Sérieusement, je sais parfaitement où j'ai laissé des brouillons de candides lettres d'amour de l'époque du collège, et je suis terrorisé à l'idée de les relire innocemment un de ces jours. Si mes souvenirs sont corrects, les raisons d'un texte aussi prématuré par rapport à la sortie du jeu étaient aussi simple que la descente en flammes du monument de hype déjà créée à l'époque autour du concept d'une diffusion par épisodes et quelques autres innovations qui sentaient déjà le réchauffé. Oui, le titre de l'article utilisait aussi la vanne entre "réchauffé" et le nom thermométrique du produit - au moins, mon humour foireux n'a pas changé avec le temps.

Au final, le jeu a un format tout ce qu'il y a de plus traditionnel et Canard PC note que les déroulements et fins ne sont guère influencés par les actions du joueur. Autrement dit, c'est un jeu d'aventure relativement classique avec, paradoxalement, une réalisation sexy (et prétentieuse) et des graphismes honteux - la faute à la ps2, répondirent les développeurs lors de l'E3 2005 - la faute à qui si vous n'assumez pas votre portage au plus petit dénominateur commun ? Mince, si on commence vraiment à avoir raison en prévoyant les quiches plusieurs années à l'avance, il y a quelque chose de sérieusement fondu dans le business des jeux vidéo. Oui, on le savait déjà.



En parlant de ça, nous sommes le 9 septembre. Souvenez-vous du 9/9/1999 : sortie de la Dreamcast. J'ai fêté cet anniversaire en jouant à Sonic Adventure 2 et un peu à Nomad Soul (pour respecter la continuité de l'article que vous venez de lire). C'est confirmé, le business est vraiment fondu.