J'ai en ce moment sur le bureau un beau livre trouvé par mon paternel chez un bouquiniste : ça s'appelle tout bêtement "Japon", texte et (superbes) photos par un certain Nicolas Bouvier, aux éditions Rencontre, et la première édition en ma possession date de 1967. Ne vous fatiguez donc pas à le chercher, il doit avoir disparu de la circulation depuis un bon bout de temps. Comme des milliers de gens le font aujourd'hui sur le Net, il raconte le Japon, et comme si peu de gens en font l'effort, il raconte l'insaisissable ambiance qui y flotte. Ca ratisse large, passant de ses expériences personnelles à l'Histoire ou à l'économie et la bouffe. Le passage sur la tentative d'évangélisation du pays par le Vatican (grosso modo, les japonais furent choqués par l'intolérance d'une religion qui reniait toutes les autres, abhorrait la sodomie et envoyait leurs ancêtres chez Lucifer parce qu'ils n'avaient pas été baptisés - alors ils éradiquèrent les chrétiens) est incroyablement proche de l'article correspondant dans l'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, que Werber publiera 30 ans plus tard.
Au début du livre, Mr Bouvier explique également les "Kami", ces divinités multiples, parfois obscènes mais toujours terriblement humaines par leurs caractères de cochon et leurs conneries qui sont le terreau des croyances populaires de l'archipel. Dans les quelques histoires racontées, on retrouve d'ailleurs des noms que l'on aperçoit dans d'autres oeuvres faisant appel à la mythologique japonaise, et l'auteur rappelle non sans ironie que des histoires de couple à la femme bouffée par les vers au retour des Enfers ne sont pas plus tordues que la naissance d'un dieu dans une étable avec trois pèlerins et deux animaux... Mais ça n'empêche pas les occidentaux de tout poil et de toutes les époques de trouver tout ce folklore bien incompréhensible au mieux, bien ridicule au pire. Notez que ça marche dans les deux sens : quand le Japon imagine le christianisme, ça donne Chrno Crusade. Ce n'est la faute à personne, au fond : on touche au noyau dur d'une culture des plus difficiles à appréhender - et si c'était si facile de comprendre son prochain, il n'y aurait pas de guerres et on parlerait tous en javanais.

Mon copain Blacksad, décidément abonné aux mangas bizarres, m'a donc montré le premier volume de Stairway To Heaven par Makoto Kobayashi (nom ou pseudonyme ô combien générique, donc je n'ai pas fait l'effort de chercher sa bibliographie), paru chez Pika dans la collection Senpai ; 4 épais volumes en tout. Rien que le scénario plonge le lecteur non-bridé dans un silence perplexe : une femme médecin qui a consacré sa vie à l'humanitaire et sauvé des milliers de vies se retrouve devant le Saint Pierre japonais, qui lui refuse le septimème ciel et décide de l'envoyer dans "l'Enfer du Plaisir" (ou le stupéfiant nom original : "Chichon Manchi" ! )parce qu'elle est (était) toujours vierge à 92 ans. La voilà condamnée à errer dans sur une île peuplée de puceaux mal intentionnés pour trouver l'amour et enfin accéder au paradis.
A l'arrivée, c'est du Jurassic Park en version crade : les animaux vont du serpent couvert de langues au canard avec un bec en forme de phallus en passant par le classique arbre tentaculaire. Car oui, les animaux ont un amour pur, contrairement aux hommes qui ne sont pas des saints ; résultat, on voit à peu près toutes les 10 pages une femme en train de batifoler avec un ours ou un tigre. Certains vendeurs de mangathèques présentent ça comme de l'humour érotico-dégueulasse comme en faisaient Gotlib ou Reiser il y a quelques dizaines d'années... Autres temps, autres moeurs, ou était-ce simplement parce qu'ils étaient doués, eux ? L'auteur précise que Stairway to Heaven n'est que la "mise à jour" graphique d'un de ses mangas précédents (à point dénommé Chichon Manchi)... Sauf que je n'aimerais pas voir la version originale tant celle-ci est dénuée d'intérêt ; le trait est générique, rond et propre, du style passe-partout digne des années 80. Quel que soit le sentiment à faire passer, toutes les expressions faciales sont identiques : surprise, joie, peur, tristesse, tous les visages ressemblent au mien devant un miroir quand je m'épile les poils du nez dans un élan de masochisme auto-infligé. Ce n'est ni érotique, ni drôle, ni même intéressant, mais on peut le réserver au public adolescent émoustillé devant des images cochonnes... Quoique ; nous vivons dans un monde où l'on peut taper son propre nom de famille dans Google et se retrouver avec des photos d'une femme suçant un chien (*), alors je pense que même cet argument joue en la défaveur de Stairway to Heaven. A dégager.