C'est lors de la session IRC d'hier soir que j'ai vu la chose: la couverture du GameFAN 9, qui est en cours de largage chez les marchands de papier.

Si vous avez la flemme de cliquer, c'est "très conceptuel" et donc résumable en une phrase: un cosplay de Mai Shiranui par la Marjolaine de TF1. Momoko a fait remarquer "et elle tient un pad Neo Geo", mais tout le monde a répondu "un pad? Où ça?" Perso, j'ai pensé que mettre "DMC 3" au lieu de "Devil May Cry 3", c'est pas cool - mais on m'a expliqué que tout est épuré au maximum à la demande du photographe pro qui a fait le cliché et avait ses exigences artistiques. C'est vrai que c'est un beau cliché. La partie libidineuse de mon cerveau n'en demande pas plus: il n'y a que Mai qui m'aille, le costume est réussi et la fille le remplit bien. L'histoire ne dit pas combien iront se tirer sur l'élastique devant ça - "ce n'est pas sale", comme disait Doc.

J'étais au courant de la chose, mais je ne l'avais pas vue. Il paraît que des rédacteurs n'en savaient rien, d'ailleurs; curieusement, on en sait plus sur GF en n'y bossant pas...
Vous le savez déjà, sur R-L.net on se veut transparents. Donc annonçons la couleur: j'ai écrit trois pages dans ce GameFAN 9.
Ce qui va suivre est mon avis personnel sur la couverture. Je n'avais pas l'intention de l'exposer, parce que je craignais que l'on pense qu'il était influencé par ma participation au magazine. Sauf que je pense bien que vous êtes suffisamment grands pour filtrer la publicité et qu'on peut discuter en toute sincérité. Je déteste faire des "what if", mais "et si un jour je me retrouvais à bosser pour Sega? Est-ce que je devrais m'abstenir de parler de jeux que j'aimais déjà avant de les rejoindre?" Avant d'avoir mon nom dans GF, j'écrivais déjà à son sujet, parce que c'est un des rares 'zines indies qui veuille sortir du doublé Future/FJM. Et hop, voici le passage interactif de cet article: si vous avez compris que mes articles sur GF racontaient déjà ça avant que je les rejoigne, vous avez compris que ce texte est sincère. Sinon, ben, j'ai oublié ce que je voulais écrire. Purée, je déteste les notes d'intentions. Non, sérieusement: si le papier n'est pas clair, pourquoi tenter de l'éclaircir en faisant un disclaimer au lieu de le réécrire? Bref c'est bon, tout le monde a pigé que ce qui va suivre est positif et objectif malgré le fait que j'ai trois pages sous la couverture avec Marjolaine? Tout le monde a aussi pigé le jeu de mots débile de la phrase précédente? Alors attachez vos ceintures, c'est parti.

Ceux qui lisent ce site depuis un bout de temps savent déjà que je fais partie de ces otakus ambassadeurs - ceux qui tentent de faire accepter le jeu vidéo et l'animation japonaise par monsieur tout-le-monde. Que ce soit une subculture, à la limite on s'en fout un peu, on veut juste que les gens ne réduisent pas cela à des fabriques de jeunes violents et/ou pervers. Soigner l'image, prouver leur légitimité en tant que moyen d'expression qui peut porter autant à réflexion que les autres, en tant que loisir qui ne se limite pas aux enfants et aux ados. Montrer des films du studio Ghibli, des jeux comme ICO, réfléchir sur les moyens de raconter une histoire alors que l'auditeur est acteur ou la symbiose des arts mis en place pour faire un jeu (théâtre pour la narration, peinture pour la 2D, sculpture pour la 3D, musique, cinéma et j'en passe). En face de nous, quels sont les personnes que nous tentons de convaincre? Des parents dont le gosse est nourri aux Pokémons ou qui n'ont vu que le club Dorothée, de la presse comme Télérama qui vire schizo dans le meilleur des cas ou reste sensationnaliste dans le pire (et le plus commun) des cas. En bref, nous avons affaire à des gens qui voient le jeu vidéo et la japanime comme étant tout en bas de l'échelle culturelle, et nous nous échinons avec force In Memoriam et films de Mamoru Oshii de les convaincre que non, ça peut avoir sa place tout en haut de cette même échelle. La tâche est ardue.

Je trouve que cette couverture utilise une autre voie pour déculpabiliser le jeu vidéo, en montrant à la ménagère de moins de 50 ans et aux temps de cerveaux disponibles que même une starlette qu'ils reconnaissent peut s'y coller. Ces gens-là se foutent bien de savoir ce qu'est une Neo Geo ou qui est Mai Shiranui; tout ce qu'ils voient, c'est la fille qui a déjà fait la une d'Entrevue (et son nom est mis en gros dans les deux cas) dans un mag' avec "GAME" dans le titre (là aussi en gros). Vous vous souvenez du premier numéro de Gaming avec WRC en couverture et qui s'était retrouvé dans la catégorie des mags de voitures? Si les buralistes se plantent et mettent GF à côté de Newlook, peut-être que ça ne sera pas un mal. Simplement prouver aux gens que le jeu vidéo n'est ni pour les abrutis ni pour les "culturés", mais juste au niveau de tout le monde (au milieu de l'échelle culturelle... enfin au milieu mais un peu vers le bas quand même). Quand on fait une projection de Japanime sur son lieu de travail, on choisit Read or Die ou Blood The Last Vampire, pas Innocence ou Serial Experiments Lain.
Les autres publications vidéoludiques pour le grand public s'adressent à ce dernier en lui montrant des jeux vidéo grand public: EA à tous les étages et blockbusters sûrs de se vendre. On lui dit: "il ne faut pas avoir peur du jeu vidéo, car il y a aussi des jeux aimés par les gens comme toi", en mettant des bimbos virtuelles (Lara Croft/NFSU/GTA3) sur la une. GameFAN tente: "il ne faut pas avoir peur du jeu vidéo, car des gens que tu aimes qui y jouent aussi", en mettant une bimbo bien réelle sur la une. En soi, la démarche n'a rien de neuf: on se souvient de Michael Jackson qui jouait à Tekken lors de la promo de la playstation ou des innombrables personnalités aperçues en train de titiller le pad au détour d'un reportage. Avant de claironner que le jeu vidéo est aussi pour les grandes personnes, affirmer que le jeu vidéo est déjà pour tout le monde. Par exemple, en affichant des stars connues du plus grand nombre avec une manette - et encore une fois, on se fout de savoir de quelle console il s'agit. Au moins, mettre une Neo au lieu d'une GC/XB/PS2 évite de penser que le mag' a une préférence dans le trio, au risque de fâcher les fanboys des autres marques.

En parlant de "fan", le cliché, même pas vulgaire et glamour à fond, n'est qu'en soi un exemple de fan service dans les règles de l'art(?). Mai Shiranui est quand même un exemple en la matière, et la réputation de la starlette choisie colle assez bien. Au moins, le "GameFAN service" pour les mecs est voulu jusqu'au bout. Oui, encore un jeu de mots très fin, merci de l'avoir vu.

On l'a déjà dit, la méthode n'est pas nouvelle: Player One avait fait un même numéro avec deux couvertures: Mortal Kombat ou Street Fighter, au choix, en raison de la sortie des deux films. Et qui posait en photo sur la version SF entre une Chun-Li et une Cammy dessinées par Olivier Vatine? JCVD himself! Pire encore: le magazine "Fly", qui parle d'avions radiocommandés, a carrément affiché l'an dernier Clara Morgane en couv', serrant un modèle en balsa dans ses mains - et avec poster fourni dans le mag' où elle est à califourchon sur l'avion, rien que ça! Je ne pense pas que l'aéromodélisme ait vraiment une réputation à se (re)faire auprès du grand public, et le lectorat est uniquement composé de grandes personnes (ça n'a pas l'air comme ça, mais ça revient très cher, les p'tits n'avions) qui assument la libido et le côté "femme objet" du cliché... Ainsi que la déconne qui va avec, parce qu'on parle toujours d'un loisir assimilé au jouet de luxe pour les grands enfants. Tout comme une Neo Geo, en fait.
Dans une interview pour BPM Culture Magazine en février 2002, Akiman (dois-je vraiment le présenter? Designer et dessinateur pour Capcom, un maître du genre) avait donné sa définition de l'otaku, pour montrer que le phénomène typiquement japonais ne se limitait pas aux jeux vidéo ou aux animes. En gros, il a expliqué que l'enfance est très importante dans le pays, et que les mômes regardent le monde des adultes en se disant qu'il n'a pas l'air marrant du tout. Alors ils décident de prendre quelque chose qu'ils aiment maintenant, en tant qu'enfants, pour l'emmener avec eux dans l'âge adulte: il peut s'agir des armes, des mangas, des petits bateaux, d'un sport... Et tous ne finissent pas en se coupant du monde à cause de leur passion, nombre d'entre eux cherchant à la communiquer - d'où les conventions. Ou les magazines qui tentent de ratisser au-delà d'un lectorat déjà acquis.
Comme je l'ai écrit quelques lignes plus haut, l'expression française pour définir ces quinquas transformant leur garage en un diorama de trains électriques, c'est "grands enfants". Parti comme c'est, nous autres fondus des jeux vidéo sommes bien partis pour en devenir. S'assumer en tant que "grand enfant", c'est sous-entendre qu'on est déjà quand même devenu adulte, avec toute la compréhension sur la société de consommation qui va avec. Par exemple, "le sexe fait vendre", ou "le décalage c'est marrant" (Conker's Bad Fur Day!). Je suis sûr que quelques "vieux" même pas pervers ont mis le poster de Clara Morgane dans leur atelier - comme le leur invitait l'éditorial de Fly - au moins parce que c'est pas tous les jours qu'on voit ça. Je suis sûr que leur rédaction se marre encore de ce cadeau fait à ses lecteurs, entre personnes assumant leur libido. Si vous leur parlez de ça, ils ont un gentil sourire au visage, satisfaits qu'on y pense toujours: avec une star du porno en plus, ça tient limite de la blague de cul qui les faisait hurler de rire dans les cours de récréation quand ils étaient gamins. Ces gars-là sont devenus de grands enfants. En faisant un exemple pareil de fan service, les gens de GF sont également de grands enfants. Et ceux qui se marreront en voyant cette couverture en sont d'autres.