La série des Grand Theft Auto n'a pas d'identité. Ces jeux sont jouissifs et ont un gameplay en béton armé, mais ils sont anonymes. Dans les trois premiers épisodes, le héros ne parle pas, aussi impersonnel qu'un Link ou un Gordon Freeman, permettant de mieux s'identifier à ce loser futur patron de la ville. Sa loyauté envers tel ou tel cartel n'a jamais rien changé à ses relations avec ces derniers, même avec les "jauges" présentes à l'écran dans GTA2. Dans GTA3, Liberty City, bien que chiadée et logiquement agencée, n'a que ses stations de radio pour s'acheter une conscience. Dans Vice City et San Andreas, l'ambiance opte pour une caricature mi-parodie, mi-hommage aux années 80 et 90. Sauf qu'on ne s'offre pas un univers cohérent en mettant un coucher de soleil orangé, des palmiers et des chemises hawaïennes pour refaire Miami Vice ou en offrant un forfait "dites 'fuck' et 'motherfucker' dans ce dialogue" illimité aux acteurs pour refaire une version jeu vidéo des albums de Tupac. Cohérence, cohérence, est-ce que j'ai une tête de cohérence? Où est l'identité quand on peut, en l'espace d'une minute de jeu, incendier quelques voitures au lance-flammes, voler un taxi, prendre son ancien conducteur comme client pour l'amener à l'église tout en écrasant quelques piétons sur son chemin? La "liberté", droit inaliénable à l'Homme selon sa Déclaration Universelle de Droits, devrait être insérée dans un jeu même si sa personnalité doit passer aux chiottes? Peut-on faire un jeu vidéo qui soit à la fois ouvert et doué de personnalité?

Mafia est l'antithèse de GTA, et l'exemple même de ce que Driv3r aurait voulu être s'il n'avait pas été aussi naze et cher. Il s'agit d'un jeu sorti de la cuisse d'Illusion Softworks, un studio tchèque ayant déjà commis la série Hidden and Dangerous et Vietcong - ce dernier étant plutôt sorti de leur cul, mais on s'écarte. Mafia est un jeu d'aventure à pied (30 à 40%) et en voiture (le reste). L'histoire y est primordiale, et c'est tant mieux. Ca se passe en 1930 et des poussières. Un type habillé costume 3 pièces et chapeau, élégant comme dans un épisode du Parrain, entre dans un café et se pose en face d'un policier qui sirote son café. Il parle: la voix française est celle d'Al Pacino, sort des "comme qui dirait", parle de "coffiot" pour un coffre-fort, de "raisiné" pour du sang, de "pépée" pour une femme. Ce personnage principal qui répond au nom de Tommy Angelo commence à déballer son sac au flic en échange d'une protection contre ses anciens "associés". Le jeu débute du même coup, avec moult flashbacks et interludes pour nous ramener au présent. Tommy était chauffeur de taxi, mais pas jeune et con pour autant. Il était juste là au mauvais moment et au mauvais endroit; ou au bon moment et au bon endroit, selon ce que le joueur en pense. Car le joueur, il va promener une petite frappe dans les affaires d'arrière-boutique d'un restau italien. Pas de grande organisation nationale et de familles qu'on réunit autour de quelques tonnes de spaghettis sur des tables de 20 mètres de long, juste cinq gars avec des flingues derrière le Don Salieri. Embrasse la bague, fils: ça va pas être triste.
Mafia est un exemple réussi de fusion entre un genre cinématographique (les films de gangsters) et une catégorie de jeu vidéo (les GTA-like). Il n'a jamais la main lourde sur les références, car il sait les embrasser sans les copier. On a une trahison, une scène d'amour (faite avec le moteur 3D et pas ridicule pour autant, un exploit en soi), des porte-flingues qui ont des sentiments, une flopée de courses-poursuites avec des types qui se canardent par les vitres à la mitrailleuse Thompson, des enterrements, des putes, des bateaux à aube, de la contrebande, et des voitures qui ont des pneus fait avec une qualité de caoutchouc qu'on n'utiliserait aujourd'hui même plus pour faire des élastiques de bureau mais Dieu qu'elles sont belles ces caisses. Les ingrédients sont là mais la recette est nouvelle: l'histoire n'est pas un carbone des films (comme dans Call of Duty), n'est pas pleine d'air comme un soufflé (Grand Theft Auto) et se paie même le luxe d'être bien écrite.
La deuxième grande réussite de Mafia, c'est d'échapper à la dirigistocratie. Il n'y a qu'un chemin pour finir le jeu, mais il sait se faire oublier. A l'instar d'un Metal Gear [insérez votre suffixe et numéro d'épisode favori] ou d'un Zelda (décidément, on sort la grosse artillerie comparative!), les limites du terrain, de l'intelligence artificielle, des possibilités, bref, tous les éléments laissés à libre disposition du joueur comme autant de hochets avec lesquels il s'amuse avant d'atteindre le prochain évènement scripté, sont aux petits oignons. Les flics ne sont ni bêtes ni devins, les piétons ne sont pas des silhouettes en carton écrasables d'un coup de vent ou des toréadors urbains, et surtout, les personnages non joueurs (PNJ) ont énormément de répliques pour réagir à toutes sortes de situations quand le joueur fait le petit malin. Si vous prenez un mauvais chemin, si vous tuez un innocent, si vous discutez avec les gens, si vous ratez un tir alors que votre patron vous avait dit de ne pas perdre la moindre balle, vous n'aurez pas systématiquement le Game Over Tout Puissant qui vous mettra un coup de pied au cul et vous fera recommencer; bien souvent, l'aventure continuera même si tout n'a pas été écrit sur du papier à musique. Tout n'est pas parfait pour autant (les missions au port sont les moins bonnes de toutes) mais l'ensemble vole bien haut. Car la ville de Lost Heaven est vivante: les voitures vont quelque part, tous les conducteurs ne sont pas des allemands au pilotage irréprochable, les flics ne sortent pas systématiquement les flingues quand vous brûlez un feu ou dépassez la limite de vitesse, chaque quartier a son propre thème musical. D'ailleurs, la bande son est fabuleuse: écoutez le thème principal et vous comprendrez. Merde, quand vous amenez votre patron au restau, qu'il vous vante les mérites du chef cuistot en chemin et qu'on se surprend à se demander quel goût ont ces fromages qu'il dit si délicieux, ce n'est pas seulement le signe qu'on est sérieusement atteint; c'est également celui que la magie passe. Pour ne rien gâcher, Mafia gère toutes sortes de périphériques, alors pas de problème si vous hésitez entre le duo clavier/souris et la manette pour les actions à pied et le volant (à retour de force ou non) pour la voiture: les trois peuvent être opérationnels simultanément et vous pouvez passer de l'un à l'autre dans le feu de l'action - pour peu que vous ayez un bureau très spacieux.

Mafia est mon coup de coeur du moment. Il est dispo sur PC pour une bouchée de pain (on le trouve à moins de 5€ en occasion!), la version console (Xbox et ps2) est passée à 30€ en neuf. Jouable en solo uniquement, et encore une fois, c'est vraiment un très bon jeu.