On l'a déjà dit dans cette colonne: le genre du MMORPG est en pleine effervescence ces derniers mois. Le nouveau maquereau qui ne va pas tarder s'appelle World of Warcraft, et est avec ses filles dans un beta-test fermé; pendant ce temps, les habituées du pâté de maison font des promos pour garder leurs clients et celles qui espéraient se faire une place au soleil en sont réduites à se faire des inconnus dans des sessions betas ouvertes.
Je n'ai jamais été accro aux jeux de rôles, mais le MMORPG est attirant parce qu'il n'est pas un vrai RPG en soi; le simple concept du monde persistant qui évolue véritablement sans vous est suffisant pour justifier un genre nouveau - et plein de possiblités inexploitées.

Car il ne faut pas se voiler la face: le coup de l'abonnement à 10$ lancé par le doyen Ultima Online n'était pas justifié par les coûts des serveurs ou de leur bande passante. L'argument avancé était de financer des animateurs et modérateurs humains pour faire vivre le jeu et un contenu dynamique. Pour qu'à votre prochain login, la seule chose qui ait changé ne soit pas le niveau de vos copains. Là était l'une des grandes promesses non tenues du Jeu Massivement Multijoueur; le seul qui ait tenu son engagement reste Anarchy Online. A part ça, le scénario se résume souvent à vider chaque cache à ennemis en attendant qu'il se passe quelque chose. C'est pour ça que les MMOG sont tous des RPG: parce qu'on peut jouer très longtemps avant de s'en rendre compte. Aussi grands les mondes soient-ils, un univers vitrifié a ses limites.
Massivement Multijoueur? Finalement, ce sont les autres personnes connectées qui font la figuration dans les villes que vous visitez et que vous croisez dans les donjons: personne n'a de véritable influence ou de pouvoir de genre politique. Même dans les jeux dédiés à cet aspect de gestion, vous vous retrouvez noyé(e) dans un univers tellement vaste que votre puissance n'est que relative. Comme dans la vie réelle, diront certains. Qui n'a pas imaginé profiter d'un tel nombre de personnages pour ne pas tenter un assaut massif sur le royaume d'en face, dressant une armée, centurion d'un jour? Nul ne peut s'autoproclamer shogun dans un MMORPG.
C'est une équation que les game designers n'ont pas résolu, par paresse ou ignorance: dans un univers où les joueurs/clients sont si nombreux, où s'arrête le pouvoir des auteurs et où commence celui du peuple? Quel est l'étendue du spectre de possibilités qu'on peut leur laisser dans l'avenir d'un projet qui se veut Massivement dédié à ce dernier? Aura-il son mot à dire dans la suite des évènements du monde? Actuellement, la situation est plus proche d'une Matrice dirigée par des serveurs sans personnalité, où les joueurs sont menottés et baillonnés.

Et finalement, ces énergies gaspillées à tourner en rond se retrouvent vite à le faire ensemble: on casse du dragon entre copains, on échange des biomods avec un inconnu qui passait par là. .hack//SIGN l'a bien montré: ce qui importe n'est pas le jeu ou l'histoire, ce sont les autres, qui à défaut d'être l'Enfer selon Sartre sont coincés comme nous dans ce salon. Et de vérifier l'équation "autres + salon virtuel=enfer“, j'en sais rien et on tomberait véritablement dans de la philo (réfléchissez quand même là-dessus si vous avez un moment, je sens qu'il y a quelque chose). Pour les grandes batailles épiques sur une plaine couverte de sang comme dans l'intro de Warcraft 3, on repassera: même en étant plus de 5000 sur le même serveur, tous les objectifs peuvent être menés à bien en étant pas plus d'une dizaine... Et comme je le disais plus haut, personne n'a le charisme ou le pouvoir de réaliser de telles choses dans ces jeux somme toute peu ”massivement multijoueurs“. Quelle est la différence avec un réseau de Baldur's Gate ou de Dungeon Siege s'il suffit d'être sept pour tout vaincre? Rapidement, chacun exhibe juste son armure dernier cri ou sa maison fraîchement construite, l'avatar devenant une nouvelle façon de frimer.
Et le MMORPG devient un IRC en 3D, ce qui n'est pas pour me déplaire. Les fenêtres sur fond blanc avec la liste de gens connectés sur le côté laisseront la place à quelques personnes dans un salon décor. On tape ”lol", et notre avatar en 3D se met à rire. Si on veut se distraire, les blagues sur les blondes qu'on oublie dix minutes plus tard sont remplacées par une promenade dans les bois, l'épée à la main. Ajoutez quelques magasins en 3D où l'on peut chiner dans les rayons, qui vendent des DVD que l'on peut acheter et reçevoir pour de vrai, et on tient un business model qui tient la route et qu'un fondateur raté de start-up foireuse va sûrement me voler.

Ca paraît con comme ça, mais l'avenir des MMORPG est dans les mains des joueurs... Si seulement les auteurs auraient la gentillesse de mettre quelque chose dans ces mains. Trop grands pour être animés par les équipes officielles, trop statiques pour être régulièrement mis à jour, et pourtant tellement esclavagistes et si peu interactifs. Ceux qui jouent dans ces mondes prennent le peu de pouvoir qu'on leur donne (quitte à ignorer le jeu proprement dit), et font de ces lieux leur deuxième maison, remplaçant leur channel IRC favori et créant ainsi une forme évoluée de ce dernier - beaucoup plus sexy et amenant des possibilités qui serviront le vrai jeu. Et peut-être que là, la pilule bleue aura un goût moins amer.