Il est rare que je fasse des articles sur des livres - des vrais, avec que du texte et pas d'images à colorier dedans. Je fais régulièrement référence à la littérature via des liens hypertexte que personne ne clique (ne mentez pas, j'ai vu les stats et mon coeur saigne en pensant à tout ce temps gâché à chercher des documents sympas). En fait, je crois que la dernière fois remonte aux articles sur Ring et Ring 2 (datant de 2002 quand même, ça nous rajeunit pas). Et pour bien commencer l'année, on va doubler la dose d'élitisme en abordant un bouquin lu en anglais dans le texte.

Snow Crash date de 1992, et traîne une étrange réputation. Personne ne semble le connaître, personne n'en parle, mais on dirait que tout le monde l'a lu, car ledit tout le monde y fait référence au détour d'un article de blog, d'une discussion chez un bouquiniste ou d'une ligne de code dans un programme cyclopéen. On dirait qu'il s'agit de l'oncle perdu quelque part dans l'arbre généalogique de la littérature cyberpunk, planqué dans l'ombre d'un Shadowrun ou d'un Dan Simmons ; tel un facteur des postes et télécommunications, c'est le père caché d'une flopée d'enfants terribles.
Je suis sérieux. A peu de choses près, toutes les technologies, concepts et idées dans ce bouquin ont été mises en pratique après la sortie de ce dernier. Pourquoi croyez-vous que j'indique la date de parution originale, l'importance de cette info étant telle que j'en oublie de nommer l'auteur ailleurs que dans une parenthèse (il s'appelle Neal Stephenson) ? Votre apparence visuelle sur le Net, qu'il s'agisse d'une icone ou d'un modèle 3D détaillé : on appelle ça un avatar, et le terme a été utilisé dans ce sens pour la première fois dans Snow Crash. Un méta-univers en 3D, imitant le monde réel, modelable par ses utilisateurs et accessible du monde entier : Second Life est l'application même du "Metaverse" de Snow Crash. Google Earth "existe" dans Snow Crash tel que vous l'utilisez à présent, et dixit Wikipedia, les auteurs du projet ne cachent même pas leur influence. L'idée du snow crash a été reprise dans bien d'autres oeuvres de SF - même Matrix a pioché dans le livre. Merde quoi, même Jay Allard, le gros ponte de chez Microsoft responsable des projets Xbox et Xbox 360, utilise le nom du perso principal du roman en pseudo sur le XboxLive. Dans la série Heroes qui fait un carton aux States, le japonais s'appelle aussi Hiro, et la coïncidence n'est pas vaine. D'habitude, on s'extasie devant un auteur de science-fiction quand la réalité rejoint la fiction, l'auteur ayant "prédit" l'avenir dans sa vision futuriste ; ici, les idées de Neal Stephenson ayant été suivies à la lettre. Vous saisissez la nuance ? Il n'a pas eu à essayer d'imaginer un futur "réaliste", puisque c'est carrément le futur qui a fini par prendre ses concepts.
Ca, c'était pour l'informatique selon Snow Crash : elle est tellement géniale qu'elle a été recréée par les lecteurs. Quant au monde selon Snow Crash, c'est précisément l'inverse ; loin d'être réaliste ou si utopiquement inventif qu'on a envie de l'appliquer, il est comique, caricatural comme une bande dessinée. Grosso modo, les pays n'existent plus, remplacés par le libre échange et le commerce mondialisé : on parle de "franchises-consulats", ou "franchulats" dans le bouquin. Ainsi, la Mafia ou les portoricains ont leurs propres territoires qu'ils financent en vendant plein de pizzas ou de tacos, avec des prisons franchisées comme des Buffalo Grill, avec décorations de cow-boys et steak grillé à tous les repas. Neal Stephenson entretient un lien de connivence avec son lecteur, décrivant cet univers et ses personnages avec un second degré piquant. Il n'hésite pas à nous paumer dans une narration destructurée, où le perso principal peut discuter mythologie mésopotamienne avec une intelligence artificielle pendant des dizaines de pages pendant que son partenaire, une gamine de 15 ans sur un skateboard, est en train de se battre contre une centaine d'agents du FBI.

Honnêtement, il faut s'accrocher à son slip pour s'attaquer à ce bouquin. Sorti sous nos latitudes à une époque où énormément de termes informatiques n'avaient pas fait leur chemin dans la langue française (la traduction encore publiée ici date de 1995), j'ai fait l'impasse sur la version française au profit d'une édition US trouvée chez Gibert. Avouez qu'avec un titre français comme "Le Samourai Virtuel", il y a de quoi douter. D'ailleurs, le texte original est claffi de jeux de mots si fins qu'on croit d'abord avoir affaire à des coquilles ou des fautes d'inattention de l'auteur ! Je l'ai écrit en introduction : soyons élitistes, et recommandons de lire la version originale. Pour peu que vous ayez confiance en votre anglais, hein.
Snow Crash est étrange à suivre, complexe et volontairement décousu par moments. Il cause de véritables mindfucks, présentant des idées si géniales qu'on s'arrête de lire pour absorber la chose et laisser galoper son esprit derrière quelques pensées sauvages ; personnellement, j'ai complètement tilté quand un personnage annonce que l'information est un virus en soi, car il s'agit de données que l'on ne peut désapprendre et qu'on finit par transmettre à d'autres personnes. Subtil, adroit et tellement vrai.