Tiens, voilà un article passé sur Slashdot qui n'a curieusement pas encore fait le tour du Net francophone : un responsable marketing d'Ubi Soft Australie donne son avis sur le gadin commercial de Beyond Good & Evil. Vous savez, le jeu de Michel "Rayman" Ancel au portage GameCube foireux qui squatte une carte mémoire à lui seul et à la version PC qui n'est pas jouable avec un pad...
Son avis nous éclaire sur pas mal de choses à propos d'Ubi. Parce qu'à son humble avis, si cet excellent jeu encensé par la critique et qui avait toutes les chances de faire un carton a fini dans les bacs à promotions en moins de six mois, c'est la faute à Ubi. Au marketing d'Ubi, en fait - surtout que le gars semble bien placé pour en parler, il en fait partie... Le département marketing d'Ubi, celui-là même qui vante auprès du reste de l'industrie son talent à diffuser des captures d'écran complètement bidonnées, présentant les personnages dans des situations et des positions impossibles dans le jeu vendu et lourdement photoshoppées pour manquer les défauts de textures ou de modélisation. Le département marketing d'Ubi, qui diffuse systématiquement des spots publicitaires en précalculé - Ghost Recon Advanced Warfighter en étant l'exemple le plus navrant, la version anglaise étant obligée d'afficher un message indiquant que ce ne sont pas des images du jeu.

Donc, Ubi Soft a su laisser carte blanche à M. Ancel pendant la conception de BGE : temps de développement et budget dédiés à l'auteur de la franchise Rayman, véritable pompe à fric d'Ubi. Franchise qui fut nouvelle et originale, quelque part au milieu des années 90, et qui est à présent une des icônes du jeu vidéo européen. Pourquoi Ubi n'a pas pensé que Jade aurait pu vivre dix ans plus tard le parcours de success story du machin blond sans bras et sans jambes ? Parce qu'à la sortie, ils ont traité BGE comme n'importe quel autre jeu.
Déjà, ils l'ont sorti à Noël. Non, ce n'est pas une bonne idée, vu que le titre est noyé entre les autres blockbusters garantis de faire du chiffre. Le plus déprimant, c'est que pour donner des exemples, l'auteur de l'article cite exclusivement des jeux Ubi : le dernier Rainbow Six, le nouveau Ghost Recon, XIII, le retour de Prince of Persia... BGE étant un clone de Zelda autoproclamé, Ubi aurait mieux fait de suivre une leçon marketing propre à tonton Mario : ne pas mettre tous ses oeufs dans le panier de Noël. En garder pour le lapin de Pâques, comme Wind Waker qui est sorti chez nous au printemps. Nintendo a toujours échelonné ses sorties sur toute l'année : une pratique qui semble évidente, mais qu'ils sont les seuls à pratiquer - quitte à repousser certaines sorties aux calendes grecques pour rentabiliser les jeux toujours sur les étagères. Mais non, même pour un jeu d'exception (à tous les sens du terme, y compris celui de "difficilement marketable", ce que semble déplorer l'auteur), Ubi tient à le coller dans un planning X-Mas déjà blindé.
D'ailleurs, que faisait le département marketing d'Ubi, au lieu de vendre du BGE ? Ben voyons, il était occupé à vendre les autres jeux de l'éditeur qui étaient des suites ou des licences garanties de faire tout plein d'argent ; c'est vrai quoi, pondre des screenshots bidonnés pour mieux voir les pectoraux de l'escouade Rainbow Six, ça prend du temps. Ils n'ont pas voulu, su et/ou pu vendre ce jeu. Encore une fois, Ubi a préféré se faire rapidement un peu de fric au lieu de réfléchir à l'avenir : dix ans plus tard, la franchise Rayman fait toujours un carton, et lors des interviews avant la sortie de BGE, Michel Ancel avait régulièrement parlé d'une suite aux aventures de Jade... Il en était tellement assuré que la fin du jeu était taillée pour un second épisode. Alors au lieu d'assurer une nouvelle licence originale, forte et artistique "par l'auteur de Rayman", les marketeux d'Ubi l'ont dédaigné car trop neuf, trop risqué. Yay pour eux. Ce n'était même pas la faute à leur hiérarchie, puisque l'auteur précise bien que le jeu était supporté "au plus haut niveau de la compagnie". Il admet aussi qu'ils ont dû attendre qu'IGN trouve pour eux un slogan : "Zelda pour les grands".

Je pense encore à ce responsable marketing d'Ubi qui était passé au Game Hotel in Paris. Il y a trop peu d'articles sur l'évènement pour que je puisse retrouver la citation exacte, mais le gars présentait les possibilités de gameplay offertes par les nouvelles consoles avec un exemple concret : "avant, on pouvait juste ouvrir une porte avec une clé, maintenant on pourra la faire exploser avec un bazooka" (surtout que c'est déjà faisable à la grenade dans Rainbow Six sur les consoles current-gen)... Les spectateurs avaient presque cru à un sketch comique et Frédérick Raynal (Alone In The Dark et le studio No Cliché) avait fini par quitter les lieux. Beaucoup de développeurs déplorent que les ambitions des éditeurs soient toujours coincées au présent : on ne pense pas à l'originalité ou à la nouveauté, mais simplement à pondre l'énième épisode d'une licence juteuse. Ubi (encore lui) présente Red Steel comme une innovation, à ce détail près qu'il s'agit d'un FPS GameCube autrefois annulé qui retrouve un second souffle avec son portage Wii. Mais quand un éditeur arrive à flinguer tout seul une licence garantie de faire du blé, c'est quand même fort ; le seul truc qu'Ubi aura pu récupérer de BGE, c'est la collaboration avec Peter Jackson (au détriment d'EA) pour le jeu vidéo King Kong. Même pas en overdosant le joueur (comme ce fut le cas avec Tomb Raider), juste en foirant complètement le lancement du premier opus : mauvais planning, mauvais marketing, et voilà comment planter un jeu excellent qui a été complètement supporté par la société lors de sa conception... Stupide et mal fait. Et de leur propre aveu, tout est entièrement leur faute.