Le cybersquatting est une pratique aussi vieille que le Net. Et c'est pas prêt de s'arrêter un jour : j'espère que le jour où j'écrirai ces billets d'humeur en étant assez riche pour avoir un clone de Rei Ayanami sous le bureau, il y aura également un bossu qui utilisera ratonlaveur.net (sans le tiret) pour propager un faux éditotaku qui sera plein d'articles sur des jeux vidéo et des animes hentai afin de pourrir la renommée du vrai site... Excusez-moi, je viens de regarder les autres noms de domaine en raton(-)laveur.com/net/org, et il n'y a rien dessus. Et il n'y a pas de Rei Ayanami sous le bureau, merci de me le rappeler.

Une histoire de cybersquat dans les jeux vidéo, c'est Rainbow Six 3. Pour résumer, un des niveaux (celui chez un concessionnaire de voitures) a une adresse Web sur un mur qu'Ubi Soft n'a pas achetée, et qui contient à présent des publicités cochonnes. Et là, nous venons d'avoir droit à un cybersquat de haut vol : le passeport Shenmue.
Je vous parle d'un temps que les moins de cinq ans ne peuvent pas connaître : Shenmue, le jeu vidéo sur Dreamcast qui vous cloue sur place par sa beauté, son histoire et son univers hallucinant de réalisme, est vendu avec un disque supplémentaire, le fameux "Passport". Musiques, présentation des personnages et du jeu, c'est un vrai DVD bonus avant l'heure. Il contenait également une partie "en ligne", où il était entre autres possible de lire les biographies de TOUS les gens rencontrés (y compris le passant le plus anonyme), comparer son meilleur score sur Hang On ou Space Harrier (jouables dans Shenmue dans leur version arcade) à un classement international ou d'acheter des goodies lisibles sur un Visual Memory Dreamcast et échangeables contre des canettes de soda gagnées dans le jeu ! Comme d'habitude, Sega avait fait les choses en grand. Avec Shenmue 2, ces petits cadeaux étaient disponibles dans une partition spéciale sur les disques du jeu, lisible par un ordinateur. La zone online du Passport fut désactivée quelque part en 2002.
Je doute qu'il y ait besoin de relater ici la suite de cette série : Sega qui laisse tomber les consoles peu après avoir sorti Shenmue 2 - qui arriva miraculeusement en Europe grâce à Big Ben Interactive et dont l'exclusivité nord-américaine fut achetée par Microsoft pour sa Xbox - et les épisodes à venir, Shenmue Online et Shenmue 3, qui sont plongés dans un blackout total de l'éditeur. Humiliation finale : Sega n'a même pas renouvelé son abonnement pour Shenmue.com.

Et la semaine dernière, une petite graine se mit à éclore : le passeport Shenmue en ligne était de retour, avec un message de bienvenue daté en 2006. La bonne nouvelle : c'était le travail d'un fan assez acharné, puisqu'il a reconstitué une grosse partie du contenu original, décortiqué le fonctionnement du disque afin de recréer le site passport.shenmue.com sur lequel le passeport se connectait ou ajouter ses messages dans la zone d'information... Evidemment, il avait racheté shenmue.com pour en arriver là. La mauvaise nouvelle : même s'il ne semble pas méchant, le comportement de ce monsieur n'est pas très clair. Arrivant comme une fleur sur le forum de Shenmue Dojo pour annoncer sa "découverte" de la renaissance du passeport, il aura fallu une enquête assez poussée du webmaster pour dévoiler le pot aux roses.
Cachait-il son travail par modestie ou par malice ? Difficile à dire. Mais plutôt que d'apprécier la résurrection de ce petit morceau de paradis, les réactions face au caractère officieux et clandestin du geste virèrent rapidement au vinaigre. Après tout, l'étape suivante de cette supercherie n'était-elle pas de commencer à propager de fausses informations, disent les Shenmue fanboys déjà traumatisés par de nombreuses désillusions ? Sega, contacté via mail par l'auteur de tout ce boxon pour leur restituer le nom de domaine, a bien évidemment répondu qu'il n'était pas dans leur intention de larguer ce site et qu'ils étaient bien contents de le récupérer. Ben voyons. Le sujet dans le forum original est parti en sucette et shenmue.com est retombé dans sa léthargie... Voilà un joli exploit technique du retrogaming - et une utilisation bénéfique du cybersquatting - qui tombe à l'eau uniquement parce que ses motivations étaient méconnues. Moralité : un fanboy, c'est vraiment con.